Colombie : la maison qui n’en est pas une

l ne doit pas être facile (dit le soussigné dans son confort) de respecter la directive saine et nécessaire de rester à la maison, quand la maison est rare…Et parmi ces misères, il y a, pour beaucoup, le fait de devoir rester dans une maison qui n’en est pas une.

Il y a des gens qui portent, comme l’escargot, comme le clodo, leur maison sur leur dos. Et où qu’ils aillent, la maison les accompagne. La transhumance, celle de l’exodé, de celui qui a été expulsé de son lopin de terre, donne, à son tour, un autre regard sur la maison. Il y a aussi la maison sur roues, comme celle dans laquelle l’écrivain qui nous a dépeint l’odyssée des fermiers de l’Oklahoma, dans une triste caravane vers la Californie, a traversé son pays. La maison, qui est un lieu (ou un non-lieu ?) historique, est aujourd’hui dans l’œil critique de l’humain attaqué par une pandémie.

“Une quarantaine, pour quoi ? Si tu n’as pas de maison”-Juliana Uribe, El Turbión

« Reste à la maison » est le nouveau slogan universel. Celui du capitalisme sauvage et des peuples victimes de l’exploitation la plus aberrante. Celui du néolibéralisme et de celles et ceux qui luttent contre un système éhonté d’inégalités et de misère. La maison redevient un point de mire des philosophes et des économistes, de la dame qui vend des avocats et de celle qui vit dans l’inconfort de la location. Qu’est-ce que la maison ?

Qu’est-ce que la maison de celui qui a laissé derrière lui, menacé par les paramilitaires ou la guérilla, ou par les membres de l’armée, ses biens qui étaient le patrimoine de la mémoire familiale, de ses ancêtres, de sa condition de paysan ? Quelle est la maison du poète, comme celui d’Alexandrie, qui nous a fait comprendre que la maison, comme le quartier, comme votre ville, vous accompagnera toujours ? Aujourd’hui, au milieu de la crise de santé publique, de la vaste menace de pandémie, la maison a pris la forme d’un abri, d’un vaccin, d’un confinement, d’une condition différente de celle que l’histoire lui a assignée.

Bien sûr, la maison des pauvres, des démunis, est une chose, et la maison du mafieux ou du nabab en est une autre. Ce ne doit pas être la même chose de séjourner dans une maison avec tout le confort, des patios, de nombreuses chambres, des espaces verts, bref, et dans un bidonville. Les différences de classe sont plus évidentes en période de pandémie. Et le monde des besoins, des limitations se fait plus prégnant – et plus triste – en ces jours où, pour éviter la contagion, la recommandation universelle est « reste à la maison », ou, si on veut être plus tranchant, « dans votre putain de maison ».

Et donc, pour beaucoup, la « putain de maison » est un lieu sans services publics, déconnecté de la soi-disant « civilisation » et où même les fameux « processus de civilisation » sont un mirage. Ou encore en couches. Ce doit être une sorte d’enfer, de spatialité dantesque, d’être obligé de rester entre quatre murs (parfois en planches, en carton, en matériau friable), dans une sorte de cellule, un cachot, qui augmente la peine et diminue l’envie de vivre.

Dans un rapport révélateur publié dans La Silla Vacía, on attire l’attention sur ce que peut signifier « reste à la maison », selon la maison. « Les matériaux de construction précaires, les espaces réduits, la surpopulation et le manque de services publics non seulement rendent le confinement plus difficile, mais mettent également en danger la santé des familles pour lesquelles même le lavage des mains, la mesure la plus élémentaire de prévention de l’infection, peut être impossible », prévient l’article.

En Colombie, la chose la plus naturelle, c’est-à-dire l’implantation de l’infamie et de l’injustice sociale, est qu’une grande partie des maisons sont construites avec des matériaux jetables, sans services publics, et où la condition de surpopulation prolonge les épreuves et la propension aux maladies. La situation de misère est aggravée non seulement par la précarité du logement et le surpeuplement, mais aussi parce qu’il n’y a pas de travail formel, à cause du chômage, parce qu’on doit survivre des petits boulots de la rue. L’informalité est un facteur de retard matériel considérable, auquel il faut ajouter, pour plus de malheur, l’inaccessibilité aux services de santé, d’éducation et autres services essentiels.

Quelle que soit la quantité de poésie, d’anthropologie et de sociologie, quelle que soit la quantité d’histoire, de géographie et de littérature que l’on mette dans la maison, nous plongerons toujours dans les profondeurs de la condition humaine lorsque nous verrons le malheur de tant de personnes qui ont été mises en marge du soi-disant progrès et de la civilisation. Il ne doit pas être facile (dit le soussigné dans son confort) de respecter la directive saine et nécessaire de rester à la maison, quand la maison est rare.

Un éditorial du Washington Post constatait que « la nouvelle pandémie a levé le voile de l’illusionnisme et du maquillage hypocrite de la civilisation » et met au pilori le capitalisme sauvage, qui doit mourir, qui doit disparaître, parce qu’il a été la cause de tant de misères et de tragédies pour les dépossédés. Et parmi ces misères, il y a, pour beaucoup, le fait de devoir rester dans une maison qui n’en est pas une.

Reinaldo Spitaletta

Original: Colombia: La casa que no es casa

Traduit par Fausto Giudice Фаусто Джудиче فاوستو جيوديشي

Traductions disponibles : Italiano 

http://tlaxcala-int.org/upload/gal_21691.jpg

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