Résultats des élections israéliennes : la tribu a parlé
Nous devons respecter sa parole, et créer une nouvelle tribu

Si c’est ça les résultats, il faut espérer que la défaite sera suffisamment claire et sans équivoque. C’est la seule façon de pouvoir enfin commencer à construire une opposition différente. Une opposition de gauche, pour changer.

Israël est un pays de droite, où le racisme est politiquement correct et où la corruption personnelle n’a pas d’importance. Lorsque des généraux tout juste sortis de l’armée sont l’alternative, il n’y a pas d’alternative. Nous devons espérer qu’un véritable partenariat judéo-arabe verra le jour.

On peut être dégoûté, on peut avoir peur, on peut même être choqué, mais on ne peut pas nier son incroyable talent : Benjamin Netanyahou le magicien a encore frappé. Maintenant, il est aussi alchimiste : prenez une inculpation sérieuse, éparpillez les appels à la haine et gagnez l’admiration des masses. Vous pouvez être méprisant, vous pouvez le dénoncer, vous pouvez même vous élever contre la nation qui a voté ainsi, mais vous devez respecter son choix. Incliner la tête. C’est la volonté du peuple. Le peuple veut Netanyahou.

Manifestation contre Netanyahou lors des enquêtes judiciaires pour corruption, 17 août 2019. Photo Ofer Vaknin

Le temps est venu de reconnaître ce fait : Israël est de droite, de droite dure. Le racisme est politiquement correct, la corruption personnelle ne joue aucun rôle, tant que vous garantissez le maintien de la suprématie juive, la domination sur une autre nation, l’arrogance et la haine. La paix, l’égalité et la justice sont pour les faibles. Pas pour la plupart des Israéliens. Ils l’ont dit haut et fort lundi, de manière plus décisive que lors des deux campagnes électorales précédentes : Netanyahou est notre roi. Netanyahou est le roi de la plupart des Israéliens.

Et du côté opposé, hélas, du côté opposé : rien. À gauche de Netanyahou, le vide absolu. Un désert aride. Netanyahou mérite des éloges, mais nous ne pouvons ignorer le fait qu’il avait devant lui une autoroute vide. Un vide idéologique, une pénurie de charisme. Il n’y a ni gauche ni centre en Israël, seulement une droite originale, et une droite qui est une imitation bon marché. Le peuple a préféré l’original. En Grande-Bretagne, il y a une gauche. Même aux USA, il y a encore une gauche, mais en Israël, ce qu’il y a de plus à gauche, c’ est le centre, qui est aussi quasi inexistant.

Les dirigeants de Kahol Lavan, Benny Gantz et Yair Lapid, ont mérité leur défaite. Il est très difficile de cacher la Schadenfreude [jubilation maligne devant le malheur d’autrui, NdT]. C’est ce qui arrive quand on ne dit rien. Quand vous n’osez rien faire de différent, que vous n’offrez que la même chose. Kahol Lavan a été puni hier, à juste titre, parce que c’est tout le parti qui a bégayé, pas son chef. En faveur du plan de paix du président Trump au Moyen-Orient, comme Netanyahou. En faveur d’une attaque sur Gaza, comme Netanyahou. En faveur du blocus de Gaza, comme Netanyahou. En faveur de la disqualification de la candidate de la Liste unifiée Heba Yazbak, en faveur de l’annexion de la vallée du Jourdain avec un accord international. Pensiez-vous réussir à mener qui que ce soit en bateau de cette façon ? C’est raté.

Des Likoudniks célèbrent la victoire le 2 mars  2020.Photo Ofer Vaknin

Une bande de bons vieux garçons et de play-boys ne fait pas une opposition. Ils se tapent dans le dos, ils lancent des sourires à la cantonade, c’est très charmant, mais quand vous n’avez rien à offrir, les électeurs ne vous donnent pas leur voix. Lorsque le ton politique est dicté par une faction d’extrême droite, comme Moshe Ya’alon, Zvi Hauser et Yoaz Hendel, même parler d’un centre devient absurde. Quand des généraux qui viennent d’abandonner leur uniforme mais pas leur mode de pensée sont l’alternative à la droite, il n’y a pas vraiment d’alternative.

La liste de gauche Emet (Labor-Gesher et Meretz) a également été sanctionnée, et elle le méritait tout autant. Le Meretz a été avalé par le parti travailliste comme s’il n’avait jamais existé, acceptant un ancien membre du parti ultranationaliste Yisrael Beitenu comme l’un de ses dirigeants : c’est quoi ça ? Qu’est-ce que c’était censé être ? Un parti nationaliste, un parti « pur », qui veut aussi être appelé de gauche ? Ici aussi, les électeurs ont eu leur mot à dire : les mixeurs et les cocktails, c’est bon pour les bars, pas pour une lutte déterminée contre les religieux et l’extrême droite qui ont pris le contrôle du pays.

Il n’y a pas de nuage sans lueur d’espoir. Si c’est ça les résultats, il faut espérer que la défaite sera suffisamment claire et sans équivoque. C’est la seule façon de pouvoir enfin commencer à construire une opposition différente. Une opposition de gauche, pour changer. Une opposition judéo-arabe, pour un changement. Une gauche authentique, courageuse et claire, avec moins de généraux. On a vu ce qu’ils valaient.

Ils n’ont pas osé faire des déclarations claires, craignant que cela n’aliène les électeurs. Mais il s’avère que l’électorat aimerait en fait entendre des choses claires, nouvelles, peut-être même subversives. Essayez, essayez quelque chose de nouveau ! Mais pour cela, il faut du courage, qui est la denrée la plus rare de la politique israélienne, plus rare encore peut-être que l’intégrité. La majorité a eu son mot à dire lundi. Maintenant, nous devons créer une nouvelle tribu pour nous y opposer.

Gideon Levy

Original: Israeli election results: The tribe has spoken
We must respect its say – and start a new one

Traduit par Fausto Giudice Фаусто Джудиче فاوستو جيوديشي

Traductions disponibles: Español

Source: Tlaxcala, le 6 mars 2020

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