Venezuela : comme dictature, on a vu pire
Création d’armes mondiales de construction massive à partir de Caracas

La guerre sociale est asymétrique : ils ont l’argent, les armes et la technologie, nous avons le nombre, l’énergie et nos corps, nos émotions, nos rêves, nos rages. Au biopouvoir du capital mondial s’oppose un biocontrepouvoir.

Je reviens du Venezuela, encore sous le choc émotionnel de cette première rencontre « en vivo » avec une révolution en marche. Une révolution communiquant par whatsapp dans un pays pétrolier cherchant à devenir « socialiste du XXIème siècle ». Je ne vais pas ici livrer d’analyses savantes ni emmerder le lecteur avec une quelconque langue de bois, mais simplement fournir une information basique et donner mes impressions d’un séjour décidément trop bref (4 jours et 4 nuits).

J’étais l’un des 150 délégués étrangers de 35 pays invités à participer au Congrès international de communication, organisé dans la foulée de la rencontre du Forum de São Paulo de juin dernier à Caracas. Cette rencontre des partis et mouvements progressistes d’Amérique latine avait été suivie d’une série de conférences sectorielles (travailleur·ses, Afrodescendants, femmes, jeunes et étudiants, communes, mouvements sociaux et pouvoir populaire, peuples autochtones). Le prochain congrès aura lieu à partir du 23 janvier prochain avec les partis et mouvements sociaux. Le Forum de São Paulo a été créé en 1990 à l’initiative du Parti des Travailleurs brésiliens et regroupe plus de 100 partis et fronts de gauche, allant de sociaux-démocrates à communistes et gauchistes. Il a été déclaré ennemi public par le ban et l’arrière-ban de la droite des Amériques et récemment désigné comme l’ennemi principal par Iván Duque, le président-marionnette colombien, quelque peu déstabilisé par la grève nationale du 21 novembre dernier, qui n’a été que le début d’un mouvement prolongé et populaire de révolte contre l’oligarchie néolibérale. Le PSUV, Parti socialiste uni du Venezuela, apparaît aujourd’hui comme le plus actif et engagé dans la dynamique de ce forum, prenant en quelque sorte le relais de Cuba comme bastion des mouvements continentaux pour le changement social et politique.

Le slogan du congrès était : « Et maintenant, la parole aux peuples ! ». À l’issue du congrès, le président Nicolás Maduro a signé le décret de création de l’Université internationale de la communication, dont l’objectif est de former des combattant·es de la communication vénézuéliens, latinoaméricains et du monde dans la « guerre de quatrième génération » que tous nos peuples subissent aujourd’hui, de la Bolivie aux Philippines, en passant par le Congo, la Palestine, bref tout le Grand Sud planétaire et une bonne partie du « Sud du Nord » (l’Europe méditerranéenne principalement). Tout le monde est aujourd’hui conscient que les élections se gagnent en utilisant massivement et professionnellement les réseaux sociaux. On peut désormais, en investissant quelques millions, créer un parti politique virtuel sans aucune base humaine physique et obtenir 10% des voix sans problème, comme cela vient d’être le cas en Uruguay pour le « Mouvement social artiguiste » de l’ex-commandant en chef de l’armée, Manini. On sait que Bolsonaro a été élu président grâce aux millions de messages surréalistes diffusés sur whatsapp. En Tunisie, le parti virtuel du magnat médiatique blanchisseur d’argent Nabil Karoui, Qalb Touns (Cœur de la Tunisie) a obtenu 38 sièges de députés (sur 217) en associant des distributions de macaronis aux déshérités et une campagne massive confiée à des professionnels payés sur facebook. En même temps, comme on dit en macronien, tous les mouvements de révolte/contestation des dix dernières années, des printemps arabes aux mouvements occupy, indignados, nuits debout, gilets jaunes, intifadas soudanaise, libanaise, irakienne, iranienne, roumaine jusqu’au Tsunami democratic catalan, aux 6000 sardines italiennes, etc. ont marché et marchent sur deux jambes, l’une virtuelle (réseaux sociaux), l’autre physique (rues, places centrales, ronds-points et carrefours, espaces temporairement libérés), la première servant à organiser la seconde.

La guerre sociale prend des nouvelles formes et dimensions, qui s’ajoutent aux formes et dimensions classiques et toutes s’influencent mutuellement. Les slogans circulent, d’un pays à l’autre, d’un continent à l’autre, d’une langue à l’autre, et même d’un camp à l’autre : ainsi un slogan des mineurs britanniques en lutte contre Thatcher en 1984 -ACAB, All Cops Are Bastards, Tous les Flics sont des Salauds – devient un slogan de supporters de foot puis un graffiti révolutionnaire dans la Tunisie des années 2010 ou apparaît sur des pancartes dans la Colombie de 2019 ; un slogan zapatiste des années 1990 –« Vous ne pouvez pas nous tuer, car nous sommes déjà morts » – réapparait sur la banderole de tête de la marche du million à Tizi Ouzou (Algérie) en 2000 et dans les graffitis de la révolution tunisienne de 2010-2011 ; le slogan « Vous nous avez tout enlevé, même la peur », passe du camp des guarimberos de droite vénézuéliens à celui des insurgés contre le régime néolibéral au Chili.

La guerre sociale est asymétrique : ils ont l’argent, les armes et la technologie, nous avons le nombre, l’énergie et nos corps, nos émotions, nos rêves, nos rages. Au biopouvoir du capital mondial s’oppose un biocontrepouvoir.  À leur utilisation verticale des outils de communication, qu’ils transforment en armes de destruction massive, s’oppose notre usage horizontal de ces mêmes outils, que nous tentons de transformer en armes de construction massive.  Je dis bien : nous tentons. Y arrivons-nous ? Y arriverons-nous ? Je doute fortement que les mouvements d’en bas parviendront à établir un contrôle sur les outils possédés par les GAFA and Co., que ceux-ci contrôlent, gèrent et manipulent en fonction de leurs intérêts financiers et de leurs accointances politiques, militaires, idéologiques.

Je parlais plus haut de la révolution bolivarienne communiquant par whatsapp : tous et toutes les Vénézuélien·nes rencontrés et vus en 4 jours et 4 nuits communiquent presque exclusivement via whatsapp. Le pays est sous embargo yankee/UEropéen, mais les réseaux sociaux fonctionnent. Moralité : la NASA, la CIA et autres grandes oreilles savent tout ce qui se dit au Venezuela. Savent-ils faire un usage intelligent (de leur point de vue) de tout ce savoir ? C’est une autre question à laquelle il m’est difficile de répondre, mais cela leur sert sûrement à essayer d’affiner leurs tactiques. Heureusement pour le peuple vénézuélien et ses alliés et amis, les machines impériales qui tentent de mettre ce peuple à genoux et de l’écraser ont comme relais locaux des crétins patentés, des bras cassés et des trouillards, qui ne ratent pas une occasion de rater leur coup et de se ridiculiser chaque fois un peu plus, incapables de réussir une invasion, un coup d’État ou un attentat par drone. On peut être sûr d’une chose : au Venezuela, l’intelligence a depuis longtemps choisi son camp : en bas à gauche, là où est le cœur.

Venant de contrées du vieux monde méditerranéen où l’on s’acharne à détruire, arriver dans pays où l’on s’échine à construire en y mettant tout -cœur, tête, corps et âme – relève de la rencontre du quatrième type. Je ne connais pas d’autre pays où, lorsqu’un président élu de la République arrive enfin sur le podium, acclamé par un millier de poitrines, il commence par un tour de danse de deux minutes au son d’une cumbia. Certains trouveront ça ridicule. Moi, non. La politique ne doit pas forcément vous transformer en robots ni en zombies. On peut tenir un discours sérieux parsemé d’anecdotes et de blagues sans que cela passe pour de la basse démagogie, pour peu qu’on donne la sensation au populo assemblé qu’on le fait naturellement, que ce n’est pas du chiqué.

Le congrès a été intense, dense mais détendu, sérieux mais jubilatoire, vénézuélien mais continental et transnational, syncrétique comme ce peuple aux racines africaines, arabes, andalouses, européennes, caribéennes, autochtones, bref un peuple-monde qui ouvre ces bras au monde des peuples. Cette grande humanité a redit « Basta » et aucun embargo, aucune guerre psychologique, aucune calomnie, si perverse soit-elle, ne la feront abdiquer et se prosterner devant les dieux du fric et du mépris, dont le crépuscule pointe à l’horizon.

Merci à toutes les sœurs et à tous les frères qui nous ont ouvert leurs bras avec une générosité sans bornes. Je ne les nommerai pas car je risque d’en oublier : ils et elles se reconnaîtront. Nous reviendrons, nous vous accueillerons chez nous en essayant d’être à la hauteur de votre hospitalité. Et nous nous sommes mis au travail pour réaliser nos rêves communs. Ensemble, nous allons arriver à faire vivre tous les outils que nous décidé de forger pour donner la parole aux peuples, premier pas vers le pouvoir de ces peuples, chacun dans le dialecte du grand langage humain qu’il a appris dès sa naissance, pour qu’enfin le monde devienne une Matria Grande, une matrie qui contienne toutes les matries, toutes les patries, toutes les fratries, toutes les (osons le néologisme) sorotries.

Ci-dessous un petit texte de propositions que nous avons distribué à Caracas, pour alimenter les débats en cours :

Nous sommes pauvres. Nous sommes faibles. Nous sommes naïfs.

C’est vrai.

Mais en même temps :

Nous sommes intelligents. Nous sommes imaginatifs. Nous sommes expérimentés.  Nous sommes nombreux.

De Caracas, capitale d’une révolution assiégée et menacée d’extermination, nous lançons un appel :

Joignons nos faiblesses pour qu’elles deviennent une grande force

Rassemblons nos pauvretés pour créer de la richesse

Rassemblons nos imaginations pour rendre possible un monde contenant tous les mondes

Nos tâches de l’année à venir pourraient être :

1-Créer ensemble des alternatives libres de communication sociale, pour pouvoir déserter facebook, twitter, whatsapp et autres cages impériales et nous déplacer dans des espaces libérés.

2-Diffuser par en bas pour celles et ceux d’en bas des informations, des analyses, des documents véridiques et vérifiés.

3-Traduire vite et bien ces documents dans un maximum de langues.

Contactez-nous :

otromundo2020[at]gmail[dot]com

Premiers signataires

Tlaxcala – La Pluma – ProMosaik

http://tlaxcala-int.orghttps://lapluma.nethttps://promosaik.blogspot.com/

Images volées et restituées

Une résistante venue tout droit de Bolivie : Sandra Cossio, membre de la Confédération nationale des femmes autochtones originelles paysannes Bartolina Sisa, parle à l’ouverture du congrès le 2 décembre 2019

Deux communicateurs sociaux de 13 ans dans un atelier du congrès

Diosdado Cabello, vice-président du PSUV et président de l’Assemblée nationale constituante

Communicatrice sociale de Radio Sardina, de l’État de Nueva Esparta (Nouvelle Sparte !) s’apprêtant à m’interviewer. Elle voulait tout savoir du mouvement 6000 sardines en Italie…

« Les peuples rejettent le TIAR » : meeting à Caracas le 2 décembre contre la réunion le même jour à Bogotá des 15 gouvernements du Traité interaméricain d’assistance réciproque, signé par les pays d’Amérique latine avec les USA après la Deuxième Guerre mondiale et réactivé récemment comme machine de guerre contre la « dictature de Maduro ». Le Pérou, le Mexique, le Venezuela, la Bolivie, Cuba, le Nicaragua et l’Équateur se sont retirés du traité. Des sanctions ont été décidées ce jour-là contre une longue liste de responsables vénézuéliens, accusés de tous les crimes possibles et imaginables. L’Uruguay a voté contre et Trinidad et Tobago s’est abstenue.

« Ô, ma patrie, si belle et perdue ! » : de tous les monuments vus à Caracas, celui qui a le plus remué mon âme de vieux garibaldien est ce modeste buste de Giuseppe Verdi dans une cour du Théâtre Teresa Carreño, le plus grand complexe culturel du Venezuela, achevé en 1983. Sous le buste, une plaque dit l’essentiel : Va pensiero-Giuseppe Verdi 1813-1901. Va pensiero, va pensée, sont les premiers mots du célèbre chœur des esclaves de l’opéra Nabudochonosor (1842). Les Hébreux esclaves à Babylone furent perçus comme une allégorie des Lombardo-Vénitiens alors sous le joug autrichien. L’esprit libertaire traverse les siècles et les continents et souffle aujourd’hui sur les terres bolivariennes.

Jeune mère bolivarienne à l’enfant

Militante palestino-vénézuélienne

L’orchestre animant le meeting au Palais de Miraflores avec Nicolás Maduro le 4 décembre. Deuxième à partir de la gauche : joueur de furruco, instrument de percussion par friction typique de la gaita zuliana (de l’État de Zulia), un instrument originaire du Congo et de l’Andalousie

Nous ne dormons pas : affiche de soutien au soulèvement du peuple haïtien, par Valentina Aguirre, de la Comunidad Utopix, collectif d’artistes graphiques vénézuéliens

Fausto Giudice Фаусто Джудиче فاوستو جيوديشي

Source: Tlaxcala, le 10 décembre 2019

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