Chili : pour protéger les intérêts de la caste privilégiée, Piñera veut faire donner l’armée

En Chile el enemigo designado es el propio pueblo chileno. Lo que se quiere proteger son los intereses de una casta privilegiada. Militarizar la solución de los problemas sociales y políticos solo puede llevar a una catástrofe de proporciones.

Quelle mesure pourrait apporter un peu de paix au Chili ? La grande majorité de la population pense que la démission de Piñera serait un bon début. Au lieu de cela, Piñera s’accroche désespérément à un pouvoir qu’il n’a plus et parie sur la militarisation d’un conflit social et politique qui est né il y a 46 ans. Un commentaire de Luis Casado.

Les gigantesques manifestations qui se déroulent au Chili depuis le 18 octobre n’ont pas trouvé de réponse politique : le gouvernement de Sebastián Piñera, considérant qu’il est en guerre contre son propre peuple, n’a fait que recourir à la répression. Pompier pyromane, le gouvernement n’a fait qu’empirer les choses.

Sebastián Piñera avec le général Mario Alberto Rozasas Córdova, commandant des carabiniers

Le gouvernement, dans un geste désespéré, a imaginé de mobiliser les forces armées pour « protéger les infrastructures essentielles « . Sans abroger d’abord le décret-loi 1086, imposé par la dictature en 1983, qui fait de la police en uniforme un État dans l’État : une menace concrète pour la coexistence sociale et les droits des citoyens. Le juge Urrutia, au Congrès, a déclaré que de cette façon, l’État chilien « viole de façon permanente les droits humains ».

Pendant ce temps, le désordre sévit, la société ne sait plus à quel saint se vouer, et il y a ceux qui espèrent profiter de la peur provoquée par la violence déchaînée et les pillages qui ont été tolérés à maintes reprises, sinon perpétrés par des carabiniers.

Certains irresponsables, aussi ignorants qu’opportunistes, poussés par leur propre peur de rater l’aubaine, exigent l’approbation de la loi voulue par Piñera pour que les Forces armées assument un rôle qui ne leur appartient pas. A titre de stratagème, plus qu’à titre d’argument, ils font valoir qu’en France et en Belgique, les gouvernements ont déjà utilisé les forces armées à cette fin. Voyons ce qu’il y a de réel dans ces déclarations.

Les accords politiques négociés dans le dos des citoyens, dans ce que ses propres protagonistes ont appelé la “cuisine”, n’ont pas non plus réussi à calmer le jeu. Les partis politiques parasitaires, qui n’ont aucune légitimité aux yeux de la population, tentent de donner des leçons de démocratie en fixant des limites à la participation citoyenne. Un autre désastre.

Soldats français du dispositif Sentinelle patrouillant à Paris

Sentinelle est une opération de l’armée française, déployée après les attentats des 7, 8 et 9 janvier 2015, pour faire face à la menace terroriste et protéger les ” points sensibles ” du territoire national. L’opération Sentinelle a été renforcée après les attentats du 13 novembre 2015 en région parisienne. Ainsi, 10 000 hommes et femmes sont mobilisés en permanence pour un coût d’un million d’euros par jour.

Ces attaques ont été revendiquées par l’État islamique, perpétrées par des terroristes entraînés qui ont utilisé des armes de guerre et des explosifs puissants, et ont fait des centaines de morts.

Quelle similitude y a-t-il entre la situation chilienne et les attaques de l’État islamique ?

Sentinelle…. a-t-elle empêché d’autres attentats ? Non. Le 14 juillet 2016, un attentat perpétré avec un camion lancé à pleine vitesse a tué 87 personnes à Nice. Ni l’armée ni la profusion de caméras de surveillance dans toute la ville n’ont servi à rien.

En août 2017, l’Institut français des relations internationales a jugé l’opération Sentinelle “coûteuse” et “inutile”. Le chercheur Tenenbaum a déclaré : « Aujourd’hui, quoi qu’en disent l’armée et le ministère de la Défense, qui tentent de nous convaincre du contraire depuis le début, ces soldats sont utilisés en remplacement des forces de police (…) avec pouvoirs extrêmement limités, dont la présence et la contribution à la sécurité est minimale ». Tenenbaum a également indiqué qu’en dehors de la sécurisation de la rue de Charonne lors de l’attentat du  Bataclán, les militaires « n’ont fait qu’intervenir pour se protéger eux-mêmes ».

Selon le Colonel (ER) Michel Goya : « Si l’on examine le bilan réel de l’intervention militaire sur le territoire métropolitain depuis octobre 1995, on constate que, strictement, aucun attentat, quelle qu’en soit l’origine, n’a jamais été évité par la présence militaire. (…) Les seuls terroristes que les soldats ont neutralisés sont ceux qui les ont attaqués eux-mêmes ». Il a également déclaré : « Cette opération, qui dure en réalité depuis 22 ans parce qu’elle n’est qu’une extension du plan Vigipirate (…), représente 20 millions de journées de travail et entre 800 millions et un milliard d’euros de surcoût ».

De janvier à août 2017, 100 % des attentats terroristes en France ont été dirigés contre l’armée et la police, et aucun ne visait des civils. Selon l’historienne Bénédicte Chéron : « Il est impossible de savoir si le dispositif est dissuasif  car on ne sait pas si certains terroristes ont renoncé à toute attaque grâce à la présence des militaires. (…) Les seules attaques qui ont été évitées étaient dirigées contre eux, et non contre des civils ».

Pour Cédric Mas, membre du groupe de réflexion Action Résilience, aux yeux de certains terroristes, les militaires apparaissent comme une cible « plus honorables » que les civils.

Pour le Général (ER) Vincent Desportes, « Ce dispositif  ne satisfait personne car il n’offre que très peu de sécurité. Au contraire, il offre aux terroristes  des cibles militaires claires pour quiconque veut les attaquer ».

Pour Bénédicte Chéron, l’Opération Sentinelle est « une solution politique facile à montrer et ça devient difficile d’expliquer qu’il faut s’en sortir quand la menace n’a pas diminué mais augmenté ». Chéron estime que l’opération était justifiée au départ, mais que « la pérennisation de ce modèle et le déploiement massif de soldats, quand on sait que toute personne détenant une autorité publique est une cible, soulève des questions. L’utilité de Sentinelle n’a pas été démontrée ».

Belgique, Italie et Royaume-Uni

La Belgique a déployé l’Opération Vigilant Guardian – après les attentats de janvier 2015, puis l’a renforcée lors des attentats du 13 novembre à Paris et Saint-Denis, ainsi que des attentats de mars 2016 à Bruxelles – sur le modèle de Sentinelle.

En février 2015, l’Italie a déployé 4 800 soldats dans les rues pour protéger un certain nombre de bâtiments, dont le Vatican, d’éventuelles attaques terroristes.

Après l’attentat de Manchester en mai 2017, le Royaume-Uni a décidé de lancer l’opération Temperer, qui prévoit le déploiement de 5 100 soldats dans les rues du pays.

La France, le Royaume-Uni, l’Italie et la Belgique ont participé activement aux bombardements contre la Libye, contre la Syrie et, bien sûr, à la guerre en Irak, sans parler des guerres en Afghanistan, au Yémen, au Mali, etc. qui ont ensuite présenté leurs factures.

Est-ce le cas au Chili ? Non. Au Chili, l’ennemi désigné est le peuple chilien lui-même. Ce qu’ils veulent protéger, ce sont les intérêts d’une caste privilégiée. Militariser la solution des problèmes sociaux et politiques ne peut conduire qu’à une mégacatastrophe.

Luis Casado

Oirignal: Chile: Protegiendo los intereses de la casta privilegiada

Traduit par Fausto Giudice Фаусто Джудиче فاوستو جيوديشي

Source: Tlaxcala, le 29 novembre 2019