Six photos qui en disent long sur la Révolution d’Octobre au Liban

Depuis jeudi soir 17 octobre et durant les deux jours qui ont suivi, des milliers de photographies ont immortalisé autant de moments phares. « L’Orient-Le Jour » en a sélectionné six, prises par des artistes photographes qui livrent leurs impressions.

Sélection : Maya GHANDOUR HERT et Gilles KHOURY et Danny MALLAT | OLJ, 21/10/2019

Roger Moukarzel : Jamais rien vécu de pareil !

Photo Roger Moukarzel

Photographe professionnel, Roger Moukarzel a couvert depuis 1981 les guerres au Moyen-Orient et puis s’est tourné vers une photographie plus artistique par manque de motivation. À L’Orient-Le Jour, il confie : « En 40 ans de carrière, et de toutes mes expériences sur le terrain, j’avoue n’avoir jamais rien vécu de pareil. Aucune manifestation n’est comparable à celles que nous vivons. Oui, un peuple qui s’exprime, mais avec un esprit civique général, une énergie et une paix intérieure retrouvée, une bonté, de la générosité, un besoin d’être réuni et uni pour une même cause, toutes générations, toutes confessions confondues. Une joie incommensurable soude ces gens et les porte là où plus personne ne peut les atteindre. J’ai retrouvé mon adrénaline, celle que j’avais perdue depuis longtemps, et ça m’a renvoyé dans le reportage, à mon plus grand bonheur. »

Patrick Baz : Libérez la femme puissante

Patrick Baz/AFP

Au lendemain du début de la révolte, le photojournaliste Patrick Baz rentre d’un voyage professionnel, traverse Beyrouth sur la mobylette d’un collègue de l’AFP, sa valise sur les genoux, sous les jets de cailloux et de pierres, direction Riad el-Solh. Pour lui, l’image la plus représentative de cette révolution reste la femme. Elle arbore un « Don’t worry » (T’en fais pas) inscrit sur son tee-shirt et s’interpose avec d’autres femmes entre les manifestants et les policiers pour éviter les heurts. La femme a mené la danse avant, durant et après. « Journaliste, reporter, militante ou politique, nous sommes tous là grâce à elle, dit-il. Elle est aux premiers rangs et le symbole de cette révolution, celle qui sans crainte aucune a donné un coup de pied à un homme armé. » Au Soudan, le symbole de la révolution était une femme. Le saviez-vous ?

Ammar Abd Rabbo : C’est photogénique, la liberté

Photo Ammar Abd Rabbo

Le photographe franco-palestino-syrien Ammar Abd Rabbo se dit très ému de couvrir les manifestations à Beyrouth. « Je les couvre avec plus d’émotion, parce que j’ai l’impression de faire des photos de la Syrie, de l’Algérie, du Yémen. Partout où les peuples arabes ont dit : “Ça suffit ! Nous avons été trop longtemps maltraités et humiliés.” Aujourd’hui à Beyrouth, nous sommes témoins d’un réveil. Un réveil très civique, où les gens manifestent pacifiquement en dansant et en chantant, avec aussi des volontaires qui récoltent et trient les déchets. » Pour Ammar Abd Rabbo, photographier ces mouvements collectifs « est toujours très touchant et c’est forcement photogénique car la liberté, le réveil, la dignité, c’est toujours très beau à voir ». À photographier et à partager. Car c’est dans le partage que l’union se consolide.

Myriam Boulos : La révolution appartient à tous

Photo Myriam Boulos

Sur cette photographie de Myriam Boulos, trois jeunes femmes traversent la rue et derrière elles, un feu grignotant le trottoir fait danser ses flammes. Les trois manifestantes se protègent le nez et la bouche au moyen de masques. Deux d’entre elles portent le voile, la troisième porte un tee-shirt sans manches. « La révolution appartient à tout le monde, dit la photographe. Et chacun la fait à sa façon. C’est là où réside la véritable force du Liban. La coexistence dans toutes ses contradictions. Les responsables font tout pour nous fragmenter et nous affaiblir. Aujourd’hui, c’est le moment d’être à l’écoute de l’Autre et de sortir de nos bulles respectives. » Intitulée « Nour, Nour et Farah protestent à Beyrouth », cette œuvre a inspiré à son auteure ce beau message de fraternité et de coexistence.

Jad Ghorayeb : Pour la postérité, pour vous, pour moi

Photo Jad Ghorayeb

Derrière un pan de verre brisé, fracassé, détruit, pareil à tous les rêves et à tous les espoirs d’un peuple en douleur, un jeune homme à la cagoule appelle à la révolution. On aurait pu imaginer ce manifestant mû par un désir violent, par un besoin agressif. Mais le photographe et architecte Jad Ghorayeb en témoigne autrement : « Une fois mon cliché pris, le jeune que j’ai photographié m’interpelle : “Caméra, caméra! Pour quel journal, pour quel média, tu prends des photos ?” Je lui ai répondu : “Je pratique la photographie pour la postérité, pour garder en mémoire ce moment historique, unique. Je photographie pour moi et pour vous !” Et voilà qu’il me tend une bouteille d’eau et dépose un baiser sur mon crâne et me dit : “Merci !”. »

Michèle Aoun : La force, l’amour et la jeunesse

Photo Michèle Aoun

Samedi 19 octobre 2019. C’est l’avant-midi, place des Martyrs. Michèle Aoun est aimantée par le spectacle d’un garçon d’une dizaine d’années en chaise roulante, parmi les premiers à manifester ce jour-là et que la foule porte à bout de bras, spontanément. La photographe accourt vers lui. « J’ai voulu prendre cette image parce que avec la force et l’amour qui l’entourait, on a oublié que ce garçon souffrait d’un handicap. Il chantait, criait de toutes ses cordes vocales, comme tout autre manifestant », dit celle qui a voulu documenter la présence des plus jeunes sur le terrain, « car ces derniers, reflet de l’avenir, nous rappellent les raisons de notre bataille ». Et puis quelle belle ironie qu’une Michèle Aoun* soit parmi ceux qui contribuent à cette révolution, en la gravant à jamais sur des images d’une puissance inouïe.

NdE : homonyme féminine du président de la République Michel Aoun

Various Authors – Autores varios – Auteurs divers- AAVV-d.a.

Fuente: Tlaxcala, le 25 octobre 2019

Traducciones disponibles: Español

Publicado por  L’Orient-Le Jour