Allemagne, année Rezo

Les prochaines guerres qu’ils lanceront ne seront plus humanitaires, elles seront vertes et arc-en-ciel, et menées sur le terrain par des garçons et des filles biberonnés au youtube et avec un « multikulti background », pour le dire en Germanglish.

Le résultat des élections européennes en Allemagne est sans doute le plus riche d’enseignements pour l’ensemble de l’Europe à 28 et, au-delà, de ses néocolonies, les pays « associés », du Maroc à Israël. Ce résultat sonne le glas de la politique du XXème siècle et des partis politiques nés au XIXème siècle et crée les bases d’une expression politique nouvelle, celle qui correspond au « nouveau capitalisme », le « capitalisme vert et arc-en-ciel ».

“C’est ou le palmier qui se balance au vent ou la bière fraîche, tu ne peux pas avoir les deux”

Fini le noir et rouge de la Grand Coalition entre sociaux-démocrates et chrétiens-démocrates/sociaux, place à Jamaika, la coalition noire (CDU), jaune (FPD) et verte. Les Verts, avec 20,5 % des voix (34% des 18-24 ans et des scores de 40 à 50% dans certaines circonscriptions branchées des grandes villes), sont désormais les maîtres du jeu : ils ont le choix entre l’option Jamaika et l’option Rot-rot-grün (RRG : rouge SPD, rouge die Linke).  Comme ils l’ont déjà pratiqué régionalement, ils vont sans doute opter pour l’alliance avec les chrét-dém et les libéraux. Et ils von tenter de bricoler une majorité au Parlement européen en s’alliant avec la macronie, dont Cohn-Bendit est un fidèle allié.

L’échec le plus spectaculaire est celui de la SPD et, en son sein, des deux groupes d’influence les plus importants : les Seeheimer et les Netzwerker. Les premiers sont les successeurs des Kanalarbeiter, le canal historique du parti, rassemblant le gratin de la bureaucratie -fonctionnaires et syndicalistes – et tirent leur nom du Club du personnel de la Lufthansa, à Seeheim, où ils se sont réunis depuis des décennies. Les seconds, les « Réseauteurs », sont l’ancienne « jeune garde du secrétariat, rassemblant au départ els députés de moins de 40, puis élargie à des députés et fonctionnaires plus âgés. Les deux ensembles se recoupent partiellement. Pour faire bref, ce sont des « modernisateurs », partisans du libre marché, de l’austérité, des coupes sociales, de l’OTAN, en un mot des sociaux-libéraux. Ils portent la responsabilité de l’érosion progressive de l’électorat social-démocrate, passé de 48,5% en 1972 (victoire de Willy Brandt) aux 15,6% d’aujourd’hui. Leur défaite aux élections dans la ville-État de Brême, qui avaient lieu le même dimanche, est tout aussi parlante : cette défaite met fin à 70 ans de règne incontesté. Ici aussi, se pose la question : quelle coalition va-t-elle gouverner la ville des animaux-musiciens ? Jamaika ou RRG ?

Le second échec, un peu moins spectaculaire, est celui de la CDU-CSU, qui perd 7% des voix par rapport à 2014, mais reste le premier parti allemand.

Le troisième échec est celui de la « gauche », le parti nommé Die Linke, qui, avec un petit 5,5%, n’enverra que 5 députés à Strasbourg. Ses dirigeants paient ainsi leurs choix « stratégiques » suicidaires consistant à mettre à l’écart les porte-parole de l’aile militante, souverainiste et assez populaire, représentée principalement par  Sahra Wagenknecht, et de se livrer à un plagiat des Verts sur le plan électoral, en mettant de côté l’aspect revendications sociales. Voilà ce qu’il en coûte de se fier aux sondages.

En effet, ceux-ci avaient indiqué, dans l’ordre, les 4 principales préoccupations des électeurs allemands. En tête, le changement climatique et l’environnement (un écrasant 48%), suivi de la « sécurité sociale » (43%), la « recherche de la paix » (35%) et de l’immigration (25%).

La première victoire est celle de la jeunesse, en particulier des 5 millions de nouveaux électeurs. Ils ont massivement voté pour tout sauf SPD, CDU/CSU, AfD, préférant les Verts et Le Parti (Die Partei), un parti satirique, qui envoie 2 députés à Strasbourg. On a là un double effet :  l’effet Greta et l’effet Rezo.

Greta Thunberg, la lycéenne suédoise managée par des pros de la com, qui a lancé le mouvement de grèves scolaires contre le changement climatique, a été à l’origine d’un mouvement mondial de jeunes, les « Fridays for Future » (les vendredis pour le futur), qui ont fait un tabac en Allemagne chez les étudiants et lycéens et ont eu des retombées électorales, ce qui n’a pas été le cas en Suède (nul n’est prophète en son pays).

Rezo est un garçon qui a trouvé son créneau, qui s’est avéré un business rentable : il est youtubeur avec 874 000 abonnés, ce qui lui rapporte largement de quoi vivre. À cela s’ajoute son shop, sur lequel il vend T-shirts, sweats, hoodies, casquettes, sacs et posters. Rezo, avec ses cheveux bleus et son bonnet rose, n’était pas un youtubeur politique déclaré, mais un entertainer, produisant des vidéos se voulant amusantes et considérées comme telles par les 8-24 ans. Soudain, le 18 Mai, il a mis en ligne une vidéo de 55 minutes intitulée « La démolition de la CDU ». Et il a réellement démoli le parti de Madame  Annegret Kramp-Karrenbauer, la successeure d’Angie. Vous me direz, avec un nom pareil, ça ne peut être qu’une dinosaure. 8 jours plus tard, la vidéo avait eu 11 millions de vues, de quoi rapporter 11 000 € à notre garçon aux yeux bleus, et faire perdre quelques millions de voix aux noirs et rouges. Entretemps, le 24 mai, Rezo avait enfoncé le clou en mettant en ligne une vidéo de 2 minutes 49 secondes, intitulée « Ein Statement von 90+ Youtubern » (comme on dit en Germanglish), une lettre ouverte de plus de 90 youtubeurs et youtubeuses, jeunes et branchés, appelant les électeurs à surtout ne pas votre pour les trois partis dont la politique est contraire à « la science et la logique », à savoir la CDU/CSU, la SPD et l’AfD. Cette vidéo n’a été visionnée « que » 3 millions de fois…


CDU : Je n’entends rien
SPD : Moi non plus
par Kostas Koufogiorgos

Bolsonaro avait gagné les élections brésiliennes en confiant à une boîte privée l’envoi massif de fake sur whatspp. Le plus célèbre de ces messages racontait que le Parti des travailleurs avait distribué dans les crèches des biberons avec des tétines en forme de pénis pour encourager dès le berceau le développement de l’homosexualité chez les garçons. Les Verts allemands ont gagné les faveurs des électeurs avec un discours tenant la route pour lequel ils n’ont rien eu à payer.

Les prochaines guerres qu’ils lanceront ne seront plus humanitaires, elles seront vertes et arc-en-ciel, et menées sur le terrain par des garçons et des filles biberonnés au youtube et avec un « multikulti background », pour le dire en Germanglish.

Fausto Giudice Фаусто Джудиче فاوستو جيوديشي

Source: Tlaxcala, le 28 mai 2019