La lutte pour l’amour de l’art communiste dans l’espace public allemand

La réunification allemande a été un véritable drame pour les expressions artistiques de la République Démocratique Allemande (RDA).

L’architecte Martin Maleschka lutte, face à ce qu’il appelle « un trou documentaire », pour récupérer l’art de l ‘Allemagne communiste disparue.

En juillet prochain, on pourra de nouveau admirer la Sphère Transparente du Monde dans les rues de Potsdam, ville de l’Est allemand aux environs de Berlin. Cette sculpture métallique, créée par l’artiste Günther Junge aux temps de la RDA communiste, s’est dressée pendant des décennies aux portes de la principale bibliothèque de Potsdam. Au cours de la dernière grande rénovation subie par ce bâtiment, il y a neuf ans, le monument a été arraché de sa place et remisé dans un entrepôt.

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Détail d’un mural de Ronald Paris à Berlin, de 1969, intitulé « Eloge du communisme ».

« On l’a emporté n’importe où pour le remiser. On ne lui a accordé aucune importance. C’est une preuve du peu d’intérêt qu’on éprouvait pour cette œuvre d’art, bien que ce soit un monument répertorié », dit à eldiario.es Hans Jürgen Scharfenberg, député du parti de gauche Die Linke au Parlement régional du Brandebourg, le Land qui entoure Berlin.

Toutefois, grâce à des hommes politiques comme lui, la Sphère Transparente du Monde va se retrouver dans un lieu public privilégié de Potsdam. Devant l’insistance d’un homme politique comme Scharfenberg, qui revendique depuis des années ce qui reste de l’héritage artistique de la RDA, les autorités de sa ville – dirigée par le social-démocrate Mike Schubert – ont finalement autorisé la réinstallation de la sculpture en face d’un centre commercial non loin du cœur de la capitale du Brandebourg.

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Andrea Theissen, directrice du musée de la Citadelle de Spandau, pose devant la tête de Lénine.

Toutes les œuvres d’art de la RDA n’ont pas eu cette chance. Il suffit de penser à cette grande statue signée par l’artiste soviétique Nikolaï Tomski dédiée à Vladimir Ilitch Oulianov, Lénine, qui se trouvait à Berlin, sur ce qu’on appelait naguère la Leninplatz. En 1992, peu après la chute du mur, cette place fut rebaptisée Place des Nations Unies. Dans le cadre de ce que Scharfenberg appelle « une opération politique » qui décida de la stratégie de lutte de l’Allemagne réunifiée contre l’art créé aux temps de la RDA, l’énorme statue en granit ukrainien de Lénine fut démantelée. Les restes finirent enterrés dans un terrain vague d’une zone boisée des environs de Berlin.

Il a fallu attendre 2016 pour que la tête en granit de Lénine sculptée par Tomski revienne à la surface. Aujourd’hui, elle est exposée dans le Musée de la Citadelle de Spandau, à l’Ouest de la capitale. On n’a pas pu récupérer l’intégralité de la sculpture, pas plus qu’une grande partie de l’art qui se trouvait dans l’espace public de la RDA. L’architecte Martin Maleschka en sait quelque chose. Cet homme de 36 ans, né à Eisenhüttenstadt, ville allemande située près de la frontière polonaise, qui s’appelait naguère Stalinstadt (Ville de Staline), est devenu un documentaliste réputé de l’art de la RDA dans l’espace public.

Maleschka a d’ores et déjà réalisé, selon ses calculs, quelque 100 000 photographies de ce genre d’expression artistique. « Il y a environ quinze ans que je cherche des trésors artistiques perdus de la RDA », dit Maleschka à eldiario.es. Maleschka a récemment publié un livre qui rend compte de son travail de documentation. Intitulé DDR. Baubezogene Kunst (Ed. Dom, 2018) ou « RDA. Art en rapport avec les bâtiments », le livre est consacré à l’art dans l’espace public de l’Allemagne communiste.

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Mural de Werner Petzold, daté de 1974, à Löbichau. ARCHIVES DE MARTIN MALESCHKA

Ce volume et ses photographies sont en grande partie une réaction à la destruction d’édifices d’architecture communiste à Eisenhüttenstadt. « Quand j’ai commencé mes études d’architecte en 2013, on commençait à démolir des immeubles d’habitation dans ma ville. Bien sûr, cela n’arrivait pas que là, mais aussi dans tout l’Est de l’Allemagne », raconte Maleschka.

L’exemple qui illustre le mieux ses propos, c’est peut-être la destruction du Palais de la République à Berlin, un bâtiment moderniste construit dans les années 70, qui servit de Parlement à la RDA. Il fut démoli entre 2006 et 2008. Sur le terrain qu’il occupait, on a érigé aujourd’hui une reproduction du Palais Royal de Berlin, lui-même victime architectonique de la destruction provoquée dans la capitale allemande par la Deuxième Guerre Mondiale. Les travaux de sa version actuelle se poursuivent aujourd’hui au cœur de Berlin.

L’Espagnol Josep Renau, parmi les artistes de l’espace public de la RDA

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Fresque murale de l’Espagnol Josep Renau à Halle, daté de 1974, sur la façade d’un centre de formation.

« Dans mon enfance et mon adolescence, j’ai vécu la plupart du temps au milieu de ces bâtiments [d’architecture communiste, ndlr.], qui étaient entourés d’œuvres artistiques dans l’espace public », affirme Maleschka. Face à la destruction systématique des espaces où il avait vécu, Maleschka s’est mis à photographier systématiquement ces bâtiments d’architecture communiste, souvent décorés d’œuvres artistiques. C’est ainsi qu’il a commencé à constituer ses archives.

D ‘énormes murales, des céramiques décoratives ou des sculptures en bronze et béton, tels sont les objets que Maleschka capture avec son appareil. « Dans bien des cas, la rareté des matériaux a produit des créations surprenantes. La devise « La nécessité produit l’art » se vérifiait », commente l’auteur de DDR. Baubezogene Kunst. Parmi les artistes représentés dans ses archives, on trouve des noms prestigieux de l’Allemagne communiste, comme Willi Sitte, Walter Womacka ou Roland Paris, mais aussi le communiste espagnol Josep Renau. Les murales de cet artiste valencien, exilé d’abord au Mexique, puis en RDA, après la Guerre Civile espagnole, ont aussi décoré de grands ouvrages de l’Allemagne communiste.

Dans ce genre d’œuvres, il y avait aussi place pour la critique du régime. « Le peintre et artiste graphique Horst Ring peignit sur un mural en céramique de 1985 une horloge qui marque 12h moins cinq.  Je l’ai récemment interrogé là-dessus, et il m’a répondu qu’il voyait venir la fin de la RDA », affirme Maleschka.

Un autre message très ouvert à l’interprétation, c’est le mural de l’Université Technique de Dresde, de 100 mètres carrés, signé par Alfred Hesse et Erich Gerlach : « Wilhelm Pieck parle aux étudiants » est le titre de ce mural. Aucun des personnages qui y sont représentés ne regarde Pieck, président de la RDA et leader du Parti Socialiste Unifié d’Allemagne. 

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Mural intitulé « Le chemin du drapeau rouge », sur le Palais de la Culture de Dresde, 1969, de Gerhard Bondzin. ARCHIVES DE MARTIN MALESCHKA

Les Allemands, entre fascination et aversion

Pour ce genre d’œuvres, la réunification n’a pas été une bonne nouvelle. « Ce qui est triste, c’est que, avec la réunification des deux États allemands, on a privatisé ce qui était la propriété du peuple, dont les œuvres d’art.  Ce qui, dans les bâtiments, relève de l’art, a aussi été vendu », commente Maleschka. Il a remarqué que la relation actuelle des Allemands avec l’art de la RDA est « très diverse ». Selon lui, elle va de « la fascination absolue à l’aversion ». Il est évident que ce dernier sentiment ne contribue pas à la préservation de cet art. Pas plus que la passivité qui règne encore chez les autorités allemandes en ce qui concerne l’archivage de ces œuvres.

« Un très petit nombre de ces œuvres d’art ont été cataloguées ou enregistrées dans des inventaires. Le trou documentaire est si important qu’il faut faire du travail de terrain. On doit aller sur place pour recueillir des images », commente Maleschka. Il comprend en partie cet abandon parce que, avec la réunification, dans les années 90 et au début de notre siècle, il y avait d’autres problèmes à affronter dans les nouveaux Länder, avant de s’occuper de l’art des ouvrages architectoniques », dit cet architecte, faisant référence aux régions qui constituaient jadis la RDA. Malgré la disparition d’une énorme quantité d’œuvres comme celles auxquelles Maleschka consacre ses efforts, il estime qu’ « on peut encore voir beaucoup d’art de la RDA dans l’espace public » allemand. Ses archives sont encore loin d’être achevées.

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Mural de Walter Womacka, « Production et paix », 1965, à Eisenhüttenstadt. ARCHIVES DE MARTIN MALESCHKA

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Bas-relief décoratif en béton à Ilmenau, 1973, sur le campus de l’Université de Sciences Appliquées. ARCHIVES DE MARTIN MALESCHKA

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Mural dans une école de Ribniz-Damgarten de Heinz Wodzicka et Rudolf Austen, des années 60. ARCHIVES DE MARTIN MALESCHKA

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Mural à Erfurt d’Erich ENGE, 1978. ARCHIVES DE MARTIN MALESCHKA

Aldo Mas

Original: La lucha por amor al arte comunista en el espacio público alemán

Traduit par Rosa Llorens

Edité par   Fausto Giudice Фаусто Джудиче فاوستو جيوديشي

Source: Tlaxcala, le 5 mai 2019