Los silencios, un film de Beatriz Seigner : des fantômes contre l’oubli

Une cérémonie finale lumineuse viendra ciseler l’idée que semble parcourir le film : dans un pays suspendu entre deuil et espoir nos déplacés s’opposent à l’oubli, à nos refoulements et murmurent contre les hoquets de l’Histoire.

Présenté à la Quinzaine des Réalisateurs de 2018 et récompensé à Cinélatino Toulouse, le film de la Brésilienne Beatriz Seigner sur les effets du conflit armé en Colombie sortira en salles en France le 3 avril et en Suisse le 1er mai 2019. Toute la force de Los silencios tient en ce mariage subtil entre lyrisme et récit politique. Gare au spectateur pressé qui voudrait, tel celui qui refoule un revenant, passer outre ce que le film interroge précisément de l’histoire sociale et politique colombienne.

C’est au cœur d’un « réel merveilleux » – renommé « réalisme magique » -, cher aux auteurs latino-américains, que semble nous porter d’emblée la jeune réalisatrice brésilienne.  Cette fine ligne de démarcation entre le réel et le fantastique, entre les vivants et les morts, prend justement forme à la lisière d’une frontière : sur l’Ile Fantasia, entre la Colombie, le Brésil et le Pérou. Dans cet entre-deux débarquent Amparo et ses deux enfants, fuyant la violence colombienne, fruit de plus de 60 ans de conflit armé.

Plongés dans une cité sur pilotis, nous suivons l’installation de ces déplacés dans leur nouvelle terre d’asile : de l’écueil administratif – ce versant bureaucratique qui paradoxalement immobilise dans l’errance – au souvenir de la perte, le poids de l’absence.
Cette réalité apposée, nos sens sont ensuite délicatement mis en éveil. Bruissement de la jungle, grincement des planchers et souffle continu du vent s’immisçant sous le zinc, toute l’atmosphère pour préparer la rupture ; il nous faudra pour lors tolérer les fantômes, ces spectres qui, à la hauteur des vivants, régissent le quotidien de cette île de l’attente. 

La finesse du film opère dès lors que nous acceptons ce fin jeu de miroir entre le fantôme et l’exilé.  C’est l’être « d’ailleurs », cet être errant dérangeant qui interroge ce que la Colombie tente tant de chasser. La réalisatrice semble vouloir nous faire entendre l’histoire d’un pays que les spectres de la guerre flairent, guettent patiemment. A l’image de l’une des scènes où une assemblée réunit les vivants et les morts, le film envisage une place aux revenants venus parler d’un conflit aux disparus et déplacés oubliés, aux éclopés balayés. Il saisit toute la difficulté de l’entreprise de la mémoire : voir ce que l’on refoule, ce que l’on préférerait oublier, accueillir le récit tout en rouvrant les blessures de la guerre.

Habitués aux fantômes blafards, la réalisatrice propose plutôt ce qui est proche. Les couleurs fluorescentes se font l’écho des teintes vives inhérentes aux terres amazoniennes. Une cérémonie finale lumineuse viendra ciseler l’idée que semble parcourir le film :  dans un pays suspendu entre deuil et espoir nos déplacés s’opposent à l’oubli, à nos refoulements et murmurent contre les hoquets de l’Histoire.

Maria Baresch

Editado por Fausto Giudice Фаусто Джудиче فاوستو جيوديشي

Fuente: Tlaxcala, le 23 mars 2019

Publié par : l’Humanité