250 000 dollars pour créer une panne électrique en Iran Une histoire qui éclaire le black-out au Venezuela

La panne d’électricité au Venezuela fait-elle partie d’une cyberguerre menée par les USA contre un adversaire latino-américain ? Les USA se sont-ils engagés dans une guerre cybernétique contre les infrastructures de l’Iran ? Est-ce que les canards font coin-coin ?

Il aura fallu une panne de courant dans tout le Venezuela, des rumeurs de cyberattaques et des tweets arrogants postés par des responsables US, pour me rappeler soudain une histoire de brigands qui est arrivée à un proche ami irano-usaméricain il y a neuf ans.

Mon ami, un ingénieur que je ne nommerai pas pour des raisons évidentes et que j’appellerai « Kourosh » pour les besoins de cet article, m’a révélé en 2010 qu’il avait été approché par deux « employés du département d’État » qui lui ont offert 250 000 dollars pour « faire quelque chose de très simple » lors de son prochain voyage à Téhéran.

Kourosh était affolé parce qu’il ne savait pas comment ces types étaient au courant qu’il allait en Iran, pour commencer, et ensuite comment ils savaient qu’il était « à court d’argent ».

Ce n’était pas une personne très politisée, bien qu’il ait participé à des manifestations à Washington à la suite des élections présidentielles très disputées de 2009 en Iran. Ce n’était que l’un des milliers d’ingénieurs irano-usaméricains qui travaillent dans la ceinture d’industries technologiques entre Washington, le Maryland et la Virginie à la recherche d’un revenu décent.

Kourosh a dit aux fonctionnaires usaméricains qu’il n’était pas intéressé, et que si l’Iran avait besoin de réformes, seuls les Iraniens qui vivaient dans le pays devaient les faire.

Je l’ai supplié de me laisser écrire cette histoire, mais il était très nerveux et il a refusé. Au cours des deux années suivantes environ, j’ai encore insisté et il m’en a dit un peu plus, mais il n’a pas changé d’avis quant à sa publication. Voilà ce qu’il m’a révélé :

Les types du Département d’Etat l’avaient à nouveau contacté. Ils lui avaient donné plus de détails sur le travail. Ils voulaient qu’il mette le réseau électrique de Téhéran hors service en échange des 250 000 dollars. Ils avaient besoin de quelqu’un ayant des compétences techniques, mais ils disaient que c’était un travail simple. Il devrait se rendre à un endroit précis dans la région de Téhéran avec un ordinateur portable ou un appareil de communication similaire et taper un code.

Kourosh m’a même donné le code. Il m’a dit qu’il l’avait mémorisé et qu’il pouvait même le réciter en dormant. Le voilà : 32-B6-B6-B10-40-E (symbole pour epsilon)

D’accord, ce n’est pas le vrai code, mais il y ressemble tout à fait – même format, même séquence et même nombre de chiffres et de lettres. Je ne me sens pas à l’aise en publiant le code, pour le cas où il serait encore valable – désolée.

Si vous savez ce qu’est ce code, SVP faites un commentaire ci-dessous. Voici ce qu’en dit un collègue qui a une formation d’ingénieur : « Il peut s’agir d’un mot de passe pour les réseaux électriques ou tout autre équipement régi par un système électronique ou informatique. Les fabricants ont des codes qu’ils utilisent pour déboguer ou réinitialiser un système. Les systèmes de contrôle sont tous électroniques et parfois, pour une raison quelconque (comme un tremblement de terre), quelque chose se déclenche et le système s’éteint. Alors vous le réinitialisez et vous entrez le nouveau code. Si vous pouvez le pirater vous n’avez pas besoin d’être physiquement présent, mais c’est bien sûr plus difficile. Si [les USAméricains] avaient besoin d’avoir quelqu’un physiquement présent pendant la tentative de sabotage, cela signifie probablement qu’ils ne pouvaient pas accéder au système à distance. »

Je ne sais vraiment pas pourquoi Kourosh a reçu tous ces détails, à moins qu’il n’ait été prêt à procéder à ce sabotage au nom du gouvernement US, mais il m’a assuré qu’il ne l’aurait jamais envisagé – qu’il avait participé à la deuxième rencontre par pure « curiosité ». « Pas question, » m’a-t-il dit. « Imagine que je l’aie fait et que la grand-mère ou le père de quelqu’un soit mort parce que son respirateur artificiel s’était arrêté. »

Je me souviens de ces détails parce que j’en ai discuté avec un certain nombre de personnes vers 2010, sans révéler le nom de Kourosh. Aujourd’hui, j’ai exhumé le vieux message Facebook que j’ai envoyé à l’écrivain et militant irano-usaméricain Trita Parsi, du Conseil national irano-américain (NIAC), basé à Washington, qui avait aussi un blog sur le Huffington Post à l’époque. Trita m’a autorisé à poster ces captures d’écran :

[Message de Sharmine à Trita: “As-tu entendu dire que des Irano-américains ont été abordés par des opérateurs privés et/ou par des agents du gouvernement des USA qui leur auraient demandé de participer à des opérations de sabotage technologique en Iran? J’ai un ami (un ingénieur) qui m’a récemment confié qu’on l’avait approché pour lui demander de « faire une chose très simple », mais terrible, pendant une visite à sa famille en Iran. Fais-moi savoir si tu as entendu parler d’un ou de plusieurs cas semblables. »

 Réponse de Trita: « Jamais entendu parler- fais-moi savoir ce que tu auras découvert. Mais ça ne m’étonne pas. »]

Une confidence : Mon mari irano-usaméricain et moi-même avons dirigé une compagnie Internet dans l’industrie des télécommunications à Washington il y a des années et j’ai été l’un des membres fondateurs du Conseil irano-américain de la technologie, ce qui m’a permis de connaître beaucoup d’ingénieurs et de professionnels de l’informatique.

Je me souviens d’avoir écrit à Trita, précisément parce qu’il était à l’épicentre politique de cette communauté. Il serait extrêmement dangereux pour moi-même et les collègues qui travaillent dans cette industrie que le gouvernement usaméricain recrute des ingénieurs civils irano-usaméricains pour des opérations de sabotage dans des pays tiers.

Cette plongée en profondeur de la journaliste d’investigation Whitney Webb dans l’affaire la panne d’électricité au Venezuela révèle des détails intéressants sur un plan de cyberattaque de l’administration Bush contre l’Iran. Dévoilé par le New York Times en 2016, le plan “Nitro Zeus” – qui impliquait le US Cyber Command – visait, entre autres choses, des parties vitales du réseau électrique iranien.

Notez cependant que les responsables US ont demandé à Kourosh de saboter le réseau électrique de Téhéran pendant le mandat d’Obama. De toute évidence, certains aspects du plan Nitro Zeus sont restés d’actualité malgré le changement de gouvernement, de parti politique et de politique.

Retour au Venezuela

Cette semaine a été éprouvante pour les Vénézuéliens, qui ont dû faire face à la panne d’électricité qui a paralysé le pays à l’échelle nationale. Jeudi dernier, un « accident » survenu à la centrale électrique du barrage de Guri dans l’État de Bolivar – qui produit environ 80% de l’électricité du pays – a laissé au moins 20 des 23 États vénézuéliens sans électricité.

Alors que l’électricité recommençait à affluer vers les États centraux, une deuxième “cyberattaque” a plongé le pays dans l’obscurité samedi dernier. Les autorités gouvernementales ont accusé les responsables US d’avoir lancé l’attaque contre l’infrastructure électrique du Venezuela et déclarent qu’elles en présenteront les preuves aux Nations Unies et à d’autres organisations internationales.

Les USA ont riposté en attribuant la panne d’électricité à la corruption et à la négligence du gouvernement du président Nicolás Maduro – contre lequel Washington a mené un coup d’État plutôt raté ces derniers mois.

Mais au milieu de cet échange d’accusations entre de vieux adversaires, des reportages et des analyses très instructifs commencent à émerger, suggérant qu’une cyberattaque US contre le réseau électrique du Venezuela est en fait un scénario très possible – voire probable. Selon Kalev Leetaru, dans lemagazine Forbes

« Dans le cas du Venezuela, l’idée qu’un gouvernement comme celui des USA parasite son réseau électrique à distance est en fait très réaliste. Les cyber-opérations à distance nécessitent rarement une présence au sol significative, ce qui rend une telle opération d’influence très facile à nier. »

“Les pannes électriques et électroniques généralisées, comme celle qu’a connue le Venezuela la semaine dernière, sont également directement tirées du manuel de guerre électronique moderne. Les coupures de courant aux heures de pointe assurant un impact maximal sur la société civile et la diffusion massive d’images apocalyptiques sur les médias, tout cela s’inscrit parfaitement dans le moule d’une opération d’influence traditionnelle “, poursuit-il.

Pour ceux d’entre nous qui avons passé des années à couvrir la guerre US irrégulière au Moyen-Orient, prendre les infrastructures pour objectif fait partie intégrante de ces guerres – parfois par des frappes directes, d’autres fois par le biais d’intermédiaires et d’opérations de sabotage.

Je ne parle pas seulement des cyberattaques comme celle du virus Stuxnet, de fabrication usaméricano-israélienne, qui a détruit des centaines de centrifugeuses dans les installations nucléaires iraniennes.

En Syrie, par exemple, sous couvert de « lutte contre l’ISIL », l’armée US a ciblé spécifiquement les grandes infrastructures économiques, notamment mais pas seulement, les gisements de pétrole, les puits et les installations, les transformateurs électrique, les usines à gaz, les ponts, les canaux, plusieurs barrages et réservoirs essentiels pour la ceinture agricole du nord du pays, et les centrales électriques.

Et les mercenaires soutenus par les USA – ils relèvent du Pentagone et de l’ « armée irrégulière » de la CIA en Syrie – ont pris pour cible les boulangeries industrielles, les silos à blé et les minoteries pour priver la population des denrées alimentaires de base.

Contrairement aux guerres conventionnelles, la guerre irrégulière US cherche à mener des opérations d’influence clandestines pour retourner la plus grande partie de la population d’un pays, le « marais non engagé », pour qu’elle apporte son soutien au changement de régime. Détruire l’infrastructure, créer des pénuries, déchaîner la violence politique, diffuser la propagande – toutes ces mesures sont décrites dans le manuel de guerre non conventionnelle des forces spéciales de l’armée US comme moyens de créer du mécontentement dans la population afin qu’elle se retourne contre son gouvernement.

Et la guerre électronique est le tout dernier théâtre d’opération du Pentagone, qui est en train d’augmenter dramatiquement et ouvertement ses investissements dans les « cyber-armes mortelles », quelles que soient les pertes civiles que puissent causer ces attaques.

Jusqu’à maintenant, les pannes de courant auraient tué une vingtaine de personnes au Venezuela , bien que des sources d’opposition avancent un chiffre de plus de 70.

La panne d’électricité au Venezuela fait-elle partie d’une cyberguerre menée par les USA contre un adversaire latino-américain ? Les USA se sont-ils engagés dans une guerre cybernétique contre les infrastructures de l’Iran ?

Est-ce que les canards font coin-coin ?

  Sharmine Narwani شارمين نرواني

Original: US officials offered my friend cash to take down Tehran’s power grid
Shedding light on Venezuela power outage

Traduit par Jacques Boutard

Edité par Fausto Giudice Фаусто Джудиче فاوستو جيوديشي

Traductions diponibles: Português/Galego  Español  Italiano 

Source: Tlaxcala, le 16 mas 2019