Pour une “taxe carbone juste”, M. Orphelin, commençons par taxer Total?

La question est donc simple. Matthieu Orphelin et les 85 autres députés qui veulent réhabiliter la taxe carbone sont-ils prêts à soutenir cette proposition?

L’essentiel des sites industriels et des entreprises les plus émettrices de gaz à effet de serre sont largement exonérés de la taxe carbone payée par les ménages.

Dans une tribune publiée par Le Figaro, 86 députés réclament une “fiscalité carbone juste“. Sans pour autant définir précisément son contenu. Soumis depuis à un déluge de critiques, ces députés passent leur temps à essayer de se justifier, transformant, de fait, la “fiscalité carbone” en un objet toxique. Ce n’est pourtant pas une fatalité.

Dégazage à la raffinerie Total de Feyzin, près de Lyon, le 17 août 2018. NurPhoto via Getty Images
Dégazage à la raffinerie Total de Feyzin, près de Lyon, le 17 août 2018.

“Ce n’est pas le retour de la taxe carbone” tente de se justifier Matthieu Orphelin, initiateur de la tribune, sans même rappeler que la taxe carbone existante n’a jamais disparu, seule son augmentation prévue en janvier ayant été ajournée. “Une fiscalité carbone juste socialement est possible” poursuit-il, appelant à des “mesures d’accompagnement et de redistribution”. Soit. Comment procéder, alors que le timing de la proposition semble la condamner avant même d’être discutée ? “En réfléchissant ensemble avec tous les acteurs” propose-t-il.

Cette tribune ne comporte aucune proposition sérieuse. Ni sur le taux, ni sur l’assiette de cette “taxe juste”, ni sur l’usage de son produit. Soit les trois éléments qui permettent de discuter du bien-fondé d’une taxe.

On a connu stratégie plus détaillée. Et proposition plus élaborée. Hormis quelques principes généraux, cette tribune ne comporte en effet aucune proposition sérieuse. Ni sur le taux, ni sur l’assiette de cette “taxe juste”, ni sur l’usage de son produit. Soit les trois éléments qui permettent de définir et discuter du bien-fondé d’une taxe. Tout est à discuter. Bref, rien n’est défini. Profitons-en donc pour soulever deux points aveugles des débats autour de la fiscalité carbone.

La taxe carbone est-elle efficace pour réduire les consommations de carburants?

La plupart des commentateurs font comme si la réponse était “Oui”. Comme une évidence. Alors que ce n’est pas du tout évident. Les économistes le savent bien. Quand on augmente le prix d’un bien dont la consommation est contrainte à court-terme, il est peu probable que sa consommation diminue. Et, si elle diminue, elle diminuera peu. Disons-le autrement, pour réduire fortement la consommation de carburants, une consommation contrainte, il faudrait augmenter considérablement les prix. Des études montrent qu’il faudrait doubler (sic) les prix des carburants à court terme pour baisser la consommation de 10% à 30% (c’est expliqué danscet article). C’est impossible.

La taxe carbone doit-elle se limiter à la consommation de carburant des ménages?

Le saviez-vous? L’essentiel des sites industriels et des entreprises les plus émettrices de gaz à effet de serre en France sont largement exonérés de la taxe carbone payée par les ménages, les artisans et les petites entreprises. On parle ici de 1400 sites, industriels ou non, qui représentent environ 107 millions de tonnes de CO2 relâchés dans l’atmosphère en 2017. Des émissions en hausse de 5% par rapport à 2016 selon les données de l’Agence environnementale européenne.

Précisons. Pour les ménages, artisans et petites entreprises, c’est assez simple: chaque fois que l’on fait son plein de carburant –ou que l’on remplit sa cuve de fioul– on paie la taxe carbone sur chaque litre acheté. Pour ces 1400 sites industriels les plus polluants du pays, la situation est bien plus avantageuse. Ils sont soumis au marché carbone européen. Soumis est un bien grand mot: le prix de la tonne carbone –dans les rares cas où ils doivent payer– est bien plus faible.

On parle ici de 1400 sites, industriels ou non, qui représentent environ 107 millions de tonnes de CO2 relâchés dans l’atmosphère en 2017. Des émissions en hausse de 5% par rapport à 2016.

Prenons un exemple. La multinationale Total, qui est le 19ème plus gros émetteur de gaz à effet de serre au monde entre 1988 et 2015, a reçu gratuitement, pour ses seules raffineries en France, 71% des quotas de pollution dont elle avait besoin en 2017 pour avoir le droit de relâcher dans l’atmosphère des émissions de gaz à effet de serre. Le reste elle l’a acheté, à faible coût. Entre 5 et 17 euros la tonne, soit de 3 à 6 fois moins cher que la tonne carbone pour les ménages (44,6 euros en 2018 et 2019).

Une proposition: appliquer le principe du “pollueur-payeur” aux plus grands pollueurs?

Cette proposition est simple: instaurer unilatéralement et immédiatement une taxe carbone complémentaire pour l’ensemble des sites industriels français soumis au marché carbone européen afin que chaque tonne de carbone relâchée soit taxée au même niveau que les carburants achetés par les ménages, artisans et petites entreprises.

C’est un principe de justice climatique: taxer les gros pollueurs pour les inciter à polluer moins.

C’est un principe de justice fiscale: aucune raison que Total et les plus gros pollueurs paient moins que nous.

C’est un principe de justice sociale: le produit de cette taxe pourrait être utilisé pour aider les ménages les plus modestes.

C’est un principe de bon sens: délégitimée dans l’opinion, la taxe carbone regagnerait ses galons si elle s’appliquait avec force sur ceux qui polluent le plus.

La question est donc simple. Matthieu Orphelin et les 85 autres députés qui veulent réhabiliter la taxe carbone sont-ils prêts à soutenir cette proposition?

Cette proposition est présentée de manière plus détaillée dans cette note parue en novembre 2018: Basculer la fiscalité carbone sur les entreprises les plus polluantes et jusqu’ici largement exonérées.

Maxime Combes 

Publié sur Huffposte, le 14 février 2019

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