Daniel Cohn-Bendit sur les Gilets Jaunes : ̏Je ne me laisserai pas forcer à porter le maillotˮ

Le mouvement des gilets jaunes pousse au cul le gouvernement français. C’est quoi ces gens-là ? Daniel Cohn-Bendit nous parle des cadres de droite des espoirs de gauche

C’est avec un profond dégoût que j’ai traduit cette incroyable interview de Dany, que je n’ai pas rencontré depuis 40 ans. Mais il me semble de mon devoir d’informer les lecteurs francophones des conneries que raconte en allemand celui qui fut Dany le Rouge, puis Dany le Vert et a fini en Dany le Bleu. Un vrai morceau d’anthologie. La vieillesse ne réussit pas à tout le monde.-FG

Le mouvement des gilets jaunes pousse au cul le gouvernement français. C’est quoi ces gens-là ? Daniel Cohn-Bendit nous parle des cadres de droite et des espoirs de gauche

taz : Daniel Cohn-Bendit, que se passe-t-il en France en ce moment, qu’y a-t-il derrière le mouvement des Gilets jaunes ?

Daniel Cohn-Bendit : C’est une révolte contre une injustice sociale qui dure depuis longtemps. En 1995, le candidat conservateur à la présidence Jacques Chirac parlait de “la fracture”, de la “rupture” dans les relations sociales.

Si le problème est connu depuis si longtemps, pourquoi l’actuel président Emmanuel Macron n’a-t-il pas éliminé cette “rupture” – après tout, il a été élu comme président de la réforme ?

C’est vraiment une bonne question, c’est la question cruciale. Macron a promis dans sa campagne électorale d’éliminer cette division sociale du pays. Cet objectif n’a pas encore été atteint. Le mouvement Gilets jaunes est alimenté par l’humeur qui règne contre lui, d’autant plus qu’il a commis de nombreux dérapages, pas seulement linguistiques, qui ont donné de lui une image de président arrogant.

Vous trouvez que le mouvement dont on reçoit des échos de toute la France est une bonne chose ?

Non, ce n’est pas ce que je voulais dire. Je n’ai décrit ce mouvement que du point de vue de ses origines sociales.

Vous mettriez aussi une « chemise jaune » ?

Si je puis me permettre de répondre de cette manière : cela m’est tout à fait impossible, déjà pour des raisons historiques. L’étoile juive que les nazis ont imposée aux citoyen•nes juif•ves était jaune… Mais si j’en fais abstraction : Je ne me laisserai pas forcer à mettre un maillot que je ne veux pas porter.

Y avez-vous été forcé ?

Moi non, mais les gens qui voulaient franchir les barrages routiers en ont fait l’expérience – ils n’ateint autorisés à continuer leur chemin que s’ils enfilaient un gilet jaune – c’est ce que j’appelle de la coercition, et je la rejette strictement. Ce mouvement a plus que des traits légèrement autoritaires. Il refuse le dialogue, il ne veut pas trouver de compromis. Par exemple, il a menacé de mort ceux qui voulaient trouver un compromis négocié. Aucune voix dans les médias sociaux du mouvement ne s’est élevée contre ça. Ils veulent que le président démocratiquement élu dégage.

Le mouvement des gilets jaunes rappelle à certains les émeutes de 1968 à Paris.

Grotesque ! À l’époque, nous avions affaire à un général à la tête de l’État, Charles de Gaulle, aujourd’hui nous avons affaire à un mouvement, comme l’ont dit les porte-paroles, qui voudrait avoir à nouveau un général au pouvoir : le général Pierre de Villiers.

Mais il s’agit d’un mouvement de base…

Non, le terme cache déjà le fait que tout le monde ne participe pas et ne veut pas participer. José Bové, le grand combattant du mouvement altermondialiste, l’agriculteur radical, dit : La majorité du mouvement des Gilets jaunes vient du Front national, du réservoir de l’extrême droite – il ne veut rien avoir à faire avec eux.

Quoi qu’il en soit, le président Macron n’est pas considéré comme le président des riches sans raison – l’abolition de l’ISF au tout début de son mandat en est une.

Les experts l’évaluent peut-être avec plus de compétence, mais nombre de ceux que je considère comme sages disent que cet impôt sur la fortune n’a rien apporté – d’autres, que je considère tout aussi sages, demandent qu’il soit réintroduit.

Et en même temps, c’est Macron qui a rejeté les nouveaux programmes sociaux dans les banlieues.

Ce n’est pas comme ça. Il a partiellement rejeté le paquet de nouvelles mesures, mais tente, par exemple, de changer les choses à long terme en fournissant aux écoles de meilleurs enseignant•es dans les banlieues. Ce qui est vrai, c’est que, comme ses prédécesseurs, il n’a pas de stratégie concluante pour ces endroits abandonnés.

D’où déduisez-vous que les chefs des gilets jaunes sont proches de positions exxtrémistes de droite

Certains des dirigeants qui ont maintenant la parole à la télévision ont leurs sites ouèbe pleins de textes contre les musulmans, contre les étrangers, contre tout ce qui est allogène.

Ce ne sont peut-être que des cas isolés.

Ce n’est pas tous, mais beaucoup. La gauche fait encore l’erreur qu’elle commet toujours : penser que les révoltes qui lui réchauffent le cœur sont émancipatrices. En Allemagne, les gens de gauche, en particulier le KPD (PC), pensaient après les traités de Versailles, quand il y a eu des manifestations contre la pauvreté en Allemagne, que le temps était venu pour des conditions soviétiques. Dix ans plus tard, tout était différent… comme nous le savons.

L’écotaxe sur l’essence et le diesel est maintenant suspendue pour un an – est-ce une bonne chose ?

D’un point de vue politique, c’est une nécessité, mais du point de vue écologique, c’est une catastrophe. Il n’y a pas d’autre moyen. Au cours de l’année à venir, le mouvement écolo et le ministre de l’Environnement doivent veiller à ce qu’un équilibre social soit créé afin que l’écotaxe puisse être réintroduite.


die tageszeitung

Original: Daniel Cohn-Bendit über Gelbwesten: “Lasse mich nicht ins Trikot zwingen“

Traduit par Fausto Giudice Фаусто Джудиче فاوستو جيوديشي

Source: Tlaxcala, le 6 décembre 2018