Comment faire gagner les Gilets jaunes ?

Nous ne sommes plus en démocratie : la grande propriété industrielle et la finance sont au pouvoir, PAS LE PEUPLE. Les « nouveaux féodaux » sont au pouvoir et il faudra une nouvelle révolution populaire, un nouveau « serment du jeu de paume » pour définir de nouvelles institutions et instituer une vraie démocratie, un vrai pouvoir du peuple. C’est l’objet de la dynamique populaire constituante.

Une analyse théorique, politique et stratégique

Après la magnifique mobilisation des « gilets jaunes » du 17 novembre et ses prolongements, un premier bilan s’impose afin de mieux éclairer la suite des évènements. Avec des centaines de milliers de participants et plus de 2 000 points de rassemblements, les Gilets jaunes sont certainement à la veille de devenir un acteur significatif et durable de la vie politique et sociale. C’est une étape décisive dans la reconstitution du peuple comme corps politique autonome. Ce que conteste fondamentalement ce peuple, c’est la mondialisation néolibérale, même si les choses ne sont pas dites en ces termes par les Gilets jaunes.

La mondialisation néolibérale repose sur quatre piliers : la guerre idéologique menée par les grands médias pour défendre les intérêts des classes dominantes ; la libéralisation du commerce international et du marché du travail avec le déchaînement du libre-échange et l’organisation volontaire d’un chômage de masse permanent ; la libéralisation financière pour instaurer la dictature des marchés financiers ; et pour consolider le tout, cerise sur le gâteau, la gouvernance par les traités internationaux, surtout européens, qui élimine la démocratie dans les Etats, c’est-à-dire le libre-choix des citoyens. Face à la mondialisation néolibérale, la démondialisation s’impose. Elle consiste à scier, à l’échelle nationale, de façon unilatérale, chacun de ces quatre piliers.

Ce succès des Gilets jaunes n’était pas gagné d’avance car le pouvoir macronien, les grands médias, l’essentiel de la gauche associative, syndicale et politique s’étaient ligués pour tenter de faire capoter l’initiative. Parallèlement, la droite et l’extrême droite tentaient grossièrement de la préempter. Comment continuer et amplifier ce mouvement, authentiquement révolutionnaire, pour le faire gagner ? Quatre perspectives se dégagent : préserver l’indépendance du mouvement pour l’enraciner et l’amener à la victoire ; rassembler le peuple de France autour de cahiers de doléances et convoquer des États-généraux ; faire tomber la Bastille de l’Union européenne et de l’euro pour libérer la France et bâtir une Europe des peuples, boycotter les élections européennes ; s’engager dans une dynamique populaire constituante afin de reconstruire la France par le rétablissement de la démocratie.

I.- Malgré les tentatives de récupération orchestrées par la droite et l’extrême droite et l’alliance de fait entre le pouvoir, les grands médias et la gauche pour torpiller la mobilisation, celle-ci a été un grand succès

La journée du 17 novembre a marqué l’échec de la tentative de récupération du mouvement par la droite et l’extrême-droite. La gauche associative, syndicale et politique, quant à elle, a oscillé entre le silence et le dénigrement des Gilets jaunes. La réalité sociale et politique que traduit le mouvement des Gilets jaunes reste toujours incompréhensible aux principales forces syndicales et politiques dont il ne faut définitivement plus rien attendre, sauf le pire.

A.- Echec de la tentative de récupération par la droite et l’extrême-droite

Le pouvoir avait donné le ton, Monsieur Macron en tête, en multipliant les références à l’entre-deux guerres, période de montée du fascisme et du national-socialisme. Le but était de faire peur, de diviser et de discréditer le mouvement en le faisant apparaître comme extrémiste. Les grands médias avaient immédiatement embrayé, suivis par l’essentiel de la gauche qui, de plus en plus, s’affirme comme un défenseur zélé et hypocrite du système. A les écouter, nous étions au bord du précipice, la « fascisation » de la société serait en train de tout submerger, elle serait incarnée par les Gilets jaunes.

Evidemment, rien de tout cela, pourtant, n’est advenu. L’échec est cuisant, pour l’instant, pour la droite et l’extrême-droite. L’idéal, pour la droite et l’extrême-droite, aurait été que ses dirigeants soient comme des poissons dans l’eau parmi les Gilets jaunes sur les points de blocage où ils auraient pu prendre la parole et être acclamés par des milliers de manifestants. Leur rêve était également d’imbiber le mouvement des Gilets jaunes par les mots d’ordre de la droite et de l’extrême-droite, par exemple : contre le matraquage fiscal, contre les immigrés, contre les chômeurs et les « profiteurs » des aides publiques, contre les fonctionnaires… Tous ceux qui ont passé du temps sur les barrages peuvent témoigner que les slogans et les pancartes reprenant ces idées nauséabondes ont été très rares.

Ainsi, le 17 novembre, on n’a pas entendu un seul représentant du RN ou de LR s’exprimer devant les Gilets jaunes, même si les médias étaient à l’affût de déclarations faites sur place par tel ou tel dirigeant politique déguisé en jaune. Pas un tract du RN ou de LR n’a été distribué, pas un slogan raciste, xénophobe ou homophobe entendu (sauf dans quelques cas, très rares là aussi, abondamment relayés par les grands médias et la gauche morale). Ainsi, contrairement à ce qui était annoncé, on a pu constater que la droite et l’extrême-droite étaient largement à la remorque et qu’elles ne récupéraient rien du tout. Les manifestants n’ont pas été instrumentalisés.

La notion de « matraquage fiscal » mérite une précision

Ce slogan n’est pas juste car il ne met l’accent que sur un seul aspect du problème : celui des hausses d’impôts et de taxes. Il masque un aspect décisif de la question fiscale qui est son caractère inégalitaire : l’évasion et l’optimisation fiscales qui nous coûtent des dizaines de milliards d’euros par an, les cadeaux aux grandes entreprises et aux plus riches (les « niches », suppression de l’ISF…). C’est pourquoi il vaut mieux revendiquer la justice fiscale.

Un dernier argument doit être avancé pour bien faire comprendre l’échec de la droite et de l’extrême-droite. Beaucoup d’électeurs qui s’en réclament ont participé à la mobilisation des Gilets jaunes et c’est très bien. Ce faisant, au contact d’autres Gilets jaunes n’ayant pas les mêmes orientations politiques, et aussi des nombreux travailleurs immigrés présents, deux phénomènes sont nés et vont mûrir. D’abord, les électeurs LR et RN Gilets jaunes seront moins captifs des partis pour lesquels ils ont plus ou moins de sympathie. Ils vont rencontrer d’autres personnes, d’autres façons de penser, et vont pouvoir évoluer dans leurs convictions. La réciproque est vraie : beaucoup de gens se reconnaissant dans la gauche vont eux aussi évoluer au contact d’autres façons de voir. Ensuite, une nouvelle identité vient de naître, celle de Gilet jaune, qui peut se superposer ou même se substituer aux anciennes identités partisanes. Car il ne fait aucun doute que l’entrée tonitruante des Gilets jaunes dans le paysage politique correspond à un nouveau courant qui a vocation à durer. Tout doit être fait, d’ailleurs, pour y parvenir, ce courant ne devant en aucun cas se recommander de la gauche ou de la droite s’il veut perdurer et gagner.

Des conséquences politiques ont-elles été tirées à la suite du constat de la faiblesse de la droite et de l’extrême-droite qui a mis à nu l’imposture des grands médias et de la gauche ? Aucune ! Tout est comme avant, on peut continuer à raconter n’importe quoi en toute impunité. Alors que des manifestations sont appelées pour le 24 novembre, dont une à Paris et les autres dans chaque préfecture, la gauche associative, syndicale et politique refuse pour le moment d’appeler ses sympathisants à y participer, sans drapeaux ni banderoles. Il est vrai que les Gilets jaunes n’ont qu’un seul drapeau, celui de Valmy et de la Résistance, le drapeau national, qui est haï par la fraction dominante de la gauche mondialiste et européiste.

B.- La gauche a oscillé entre le silence et le dénigrement du mouvement des Gilets jaunes, honte à la gauche et aux directions syndicales !

Le silence visait à amoindrir la participation aux initiatives prévues le 17 novembre pour les faire capoter. Comment expliquer cette attitude ? Quant au dénigrement, il a pris plusieurs formes, certaines relevant de l’ignorance, d’autres particulièrement perverses.

1.- Un silence qui a deux explications

D’abord, la gauche, dans la totalité de ses composantes, est coupée depuis longtemps de la société et ne comprend plus ce qu’il s’y passe (elle n’est pas la seule concernée !). Elle est dépassée par les événements. Elle adopte alors des formules toutes faites qui tiennent lieu d’explications et qui la confortent dans son magistère moral : « droitisation » ou « fascisation » de la société, « populisme »…

Ensuite, la gauche vivait jusqu’à aujourd’hui sur la croyance qu’elle avait le monopole des mobilisations sociales. Dès lors, toute mobilisation qui pouvait naître en dehors d’elle était nécessairement illégitime ou alors ne pouvait qu’être instrumentalisée par des gremlins (d’extrême droite) qui en tiraient les ficelles en cachette.

A cet égard, la déclaration commune du 15 novembre des partis de gauche est particulièrement symptomatique et pathétique

Ensemble !, Gauche démocratique et sociale, Génération.s, Nouveau parti anticapitaliste, Nouvelle donne, Parti communiste français, Parti de gauche, République et socialisme, ont totalement passé sous silence la journée du 17 novembre. Aucune solidarité n’est ainsi exprimée par ces partis de gauche à l’égard des chômeurs, jeunes précaires, petits agriculteurs et indépendants, smicards… qui se révoltent. Aucune aide ne leur est apportée, qu’ils se débrouillent ! Heureusement, des milliers d’électeurs et même d’adhérents de ces partis de gauche ont bravé les consignes de leurs dirigeants de rester l’arme au pied et ont participé à la journée du 17.

Du côté syndical, le site Internet de Solidaires était désespérément vide avant le 17 novembre, comme celui de la FSU. Quant à Attac, emblème fané de la gauche associative, elle était muette sur la mobilisation dans le communiqué qu’elle diffusait le 13 novembre… Néanmoins, de très nombreux militants syndicaux et d’Attac ont tenté de sauver l’honneur de leurs organisations et ont enfilé leur gilet jaune.

Le silence de ces organisations sur la mobilisation des Gilets jaune n’était pas le signe d’une simple neutralité bienveillante ou d’une distraction de leur part. Car ces organisations ont ajouté le dénigrement à leur silence dans l’objectif parfaitement clair de briser la mobilisation des Gilets jaunes.

2.- Un dénigrement multiforme

Soit sous une forme directe, soit de façon hypocrite, plusieurs organisations de gauche ont développé une argumentation anti-Gilets jaunes parfois plus violente que celle du pouvoir.

Le dénigrement le plus grave est celui qui a consisté à assimiler les Gilets jaunes au fascisme et à l’extrême droite

Les manifestations de ces bassesses sont innombrables :

  • L’Humanité des 16, 17 et 18 novembre signale que fin octobre, les cinq confédérations (CGT, CFDT, FO, CFE-CGC, CFTC) et Solidaires étaient unanimes pour refuser de se joindre à la journée du 17 novembre. Motif : la récupération par « plusieurs partis d’extrême-droite» de cette colère « légitime ». La CGT, dans un communiqué du 30 octobre, écrivait que « de nombreux militants font savoir que c’est une manifestation d’extrême droite. » Philippe Martinez, le 16 novembre sur France Inter, faisait le service après-vente de M. Macron, servilement, en tentant de disqualifier les Gilets jaunes avant la manifestation. De manière odieuse et absurde il affirmait : « impossible pour la CGT de défiler à côté du Rassemblement national ». Personne n’a envie de défiler à côté du RN. Ce n’était de toute façon pas la question puisque le RN n’a jamais envisagé de participer en tant que tel à ces manifestations. Il a tout de suite compris, contrairement à M. Martinez dont le système d’information semble particulièrement déficient, que les Gilets jaunes ne permettraient pas cette récupération.
  • Laurent Berger, le patron de la CFDT, préposé aux trahisons en tout genre, ne pouvait laisser le leadership syndical anti-Gilets jaunes à la direction de la CGT. Il a donc fait de la surenchère en qualifiant ce mouvement de « totalitaire». Il a fait une proposition au gouvernement particulièrement perverse, consistant à réunir « les syndicats, les organisations patronales, les associations pour construire un pacte social ». Evidemment les Gilets jaune ne seraient pas de la partie !

Une deuxième façon de dénigrer les Gilets jaunes a été de les accuser de rejeter l’impôt

Fabrice Angéi, secrétaire confédéral de la CGT, pour ne prendre que lui, affirmait ainsi que « la réponse aux difficultés de pouvoir d’achat ne peut pas être le ras-le-bol fiscal ». Ce commentaire est une grave erreur d’appréciation. Le ras-le-bol fiscal est une réalité pour des millions de gens modestes, parfaitement justifié, et portant surtout sur la fiscalité indirecte, la plus injuste, comme la TVA ou la TICPE.

La juste revendication de l’annulation de la hausse du prix des carburants a été interprétée par la gauche, hormis le caractère jugé anti-écologique de cette revendication, comme une progression inquiétante du non-consentement à l’impôt. Ce serait alors une preuve supplémentaire du caractère de droite et même d’extrême droite de la mobilisation des Gilets jaunes. Toutefois, ce que semble oublier la gauche, consentir à l’impôt ne signifie pas accepter n’importe quoi. Deux conditions doivent être réunies à cet effet. La première est le sentiment d’appartenance à une communauté politique capable de choisir son destin en toute indépendance. Si cette communauté est vraiment libre, le paiement de l’impôt sera l’une des contreparties. La deuxième condition pour consentir à l’impôt est que celui-ci soit juste et que « chacun contribue selon ses facultés ».

Ces deux conditions sont-elles réunies dans notre pays ? Evidemment non. Dans le premier cas, il y a longtemps maintenant que le peuple a compris que la France n’était plus un pays libre. Notre pays est en effet surplombé par le système de l’Union européenne. Dans le second cas, les citoyens ne comprennent pas pourquoi, d’un côté, ils devraient payer toujours davantage d’impôts et de taxes, et d’un autre côté observer avec détresse la dégradation ou la disparition des services que l’Etat doit leur rendre en échange de leur contribution. On peut accepter de payer si les routes sont entretenues, les lignes de chemins de fer organisées dans les territoires enclavés, les hôpitaux pas trop loin de chez soi, les bureaux de poste ouverts, les forces de l’ordre visibles et efficaces….

Un troisième type de dénigrement a été d’accuser les gilets jaunes de limiter leurs revendications au prix des carburants, d’ignorer les impératifs de la lutte contre le réchauffement climatique, de manquer de cohérence avec leurs revendications disparates

Les donneurs de leçons généralement situés à gauche devraient être plus modestes, compte tenu des « brillants » résultats dont ils peuvent se prévaloir. Car celui qui voulait se renseigner honnêtement sur les revendications des Gilets jaunes pouvait constater sans difficulté qu’il n’y avait pas que le prix des carburants dans les revendications. Celles-ci allaient beaucoup plus loin car venant de territoires moins productifs économiquement, où le chômage est très important. Ce sont des zones rurales, des villes petites et moyennes souvent éloignées des métropoles ou des banlieues de ces dernières : la « France périphérique ». Là vivent les petites classes moyennes, les ouvriers, les petits salariés, les indépendants, les retraités. Cette majorité de la population subit depuis 20 à 30 ans une recomposition économique dont elle a fait les frais, abandonnées par la gauche et la droite quand elles étaient au pouvoir.

En réalité, la diversité des causes individuelles et collectives de la mobilisation traduit tous les maux de la société française : injustice fiscale, colère contre le gouvernement et Macron en particulier, domination de la finance, perte de l’indépendance nationale, sentiment d’abandon, chômage, pouvoir d’achat…

Quatrième dénigrement, condescendant et méprisant, celui d’une mobilisation qui ne serait qu’une « jacquerie » ou pire, du « néo-poujadisme »

Non ce n’est pas une « jacquerie » et encore moins un mouvement « néo-poujadiste » car ce mouvement n’est ni marginal ni catégoriel. La mobilisation dépasse le monde rural et touche l’ensemble des catégories modestes : ambulanciers, chauffeurs-routiers, retraités, chômeurs, petits agriculteurs et indépendants, jeunes précaires… Les détracteurs du mouvement, gauche en tête, ont voulu imposer l’image d’un rassemblement hétéroclite de « beaufs » pour le disqualifier. Cela a échoué. Les enquêtes d’opinion indiquent un soutien massif des Français aux Gilets jaunes qui oscille entre 60 et 70 %.

Cinquième dénigrement, prendre les quelques cas de dérapages comme une règle générale

Les grands médias, appuyés par de petits groupes de la gauche radicale et donc prétendument morale, grossissent quelques débordements réels qui sont inacceptables. Le but est de torpiller le mouvement des Gilets jaunes. Il faut comprendre que des débordements sont difficilement évitables. Plus un mouvement est large, plus ce risque existe. Faut-il pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain ? Non bien entendu, il faut continuer, même s’il y a dans les initiatives des individus sexistes, racistes, homophobes, complotistes… Il faut l’accepter et dialoguer avec eux en partant du principe qu’ils sont avant tout des personnes qui souffrent et que la solution n’est pas de trouver des boucs émissaires mais de s’attaquer aux causes des problèmes et à leurs véritables auteurs.

Ajoutons encore la déclaration commune du 15 novembre des partis de gauche, déjà mentionnée, qui lançait un appel : « Tous ensemble, agissons avec les forces de gauche et écologistes, les syndicats, les associations environnementales, les usagers des transports. » Mais pourquoi agir seulement avec la gauche ? Faut-il maintenant, pour faire grève ou manifester, être de gauche ? Depuis quand ? Et pourquoi ? L’annulation de la hausse du prix des carburants, qui est pourtant la revendication principale des Gilets jaunes était passée sous silence. Le message de cet appel n’était pas celui de la solidarité, il visait à tenter de récupérer cette mobilisation (comme le font LR et le RN), qui devait se réaliser sous la conduite exclusive des organisations de gauche.

« Père, gardez-vous à droite ! Père, gardez-vous à gauche ! »

Cette phrase a été prononcée par Philippe, fils du roi de France Jean II le Bon, le 19 septembre 1356 lors de la bataille de Poitiers. On peut l’appliquer intégralement aux Gilets jaunes ! La cause était entendue. Le Monde du 13 novembre confirmait : « Méfiants, les syndicats se tiennent à l’écart du mouvement ». L’Humanité des 16, 17 et 18 novembre confirmait également : « Les syndicats refusent de cautionner le 17 ». Aucune centrale syndicale n’a donc appelé à manifester. Au-delà de leurs désaccords sur le fond, la mobilisation des Gilets jaunes renvoie les centrales syndicales à leur impuissance à mobiliser. Ainsi, pour la CFE-CGC, les syndicats sont toujours « gênés » quand « un mouvement de la société civile prend une forme qu’ils auraient pu organiser ».

C’est bien notamment parce que les syndicats ont du mal à mobiliser que le mouvement des Gilets jaunes s’est développé. A partir du moment où les syndicats ne font rien ou font des choses inadaptées ou inefficaces, d’autres forces apparaissent et tentent de faire mieux. Et le mouvement des Gilets jaunes a montré jusqu’à présent qu’il pouvait se développer sans les syndicats. Il faut maintenant qu’il confirme et qu’il gagne…

On aurait pu croire que l’analyse de la journée du 17 novembre, qui a fait voler en éclat toutes les (mauvaises) raisons avancées par la gauche pour torpiller l’évènement, aurait été faite. Pas du tout ! On en veut pour preuve, en ne prenant que cet exemple, le communiqué mielleux du 19 novembre publié par une coalition d’organisations de gauche du département de Haute-Garonne. Le titre est « Un vent de colère souffle sur notre département comme dans tout le pays ». Les signataires sont CGT31, FSU31, Solidaires31, PCF, PG, FI, Ensemble, Mouvement de la paix, DAL31, GDS31, MJCF31, Copernic31. Il n’y a strictement rien sur les Gilets jaunes qui ne sont pas même évoqués, la revendication principale de l’annulation de la hausse du prix des carburants est ignorée. Aucun encouragement n’est prodigué pour poursuivre le mouvement, appeler aux manifestations du 24 novembre notamment à Paris, ni aucune aide ou solidarité proposée. Ces organisations attendent gentiment que les Gilets jaunes se découragent et abandonnent la partie, et on peut compter sur cette gauche pour les y aider !

La réaction de ces organisations est consternante et démontre qu’elles ne comprennent plus rien aux préoccupations des simples gens, qu’il faut résolument faire sans elles, et même contre elles s’il le faut. En agissant de la sorte, elles confortent l’extrême-droite qu’elles prétendent combattre.

C.- Les forces syndicales et politiques ne parviennent toujours pas à appréhender la réalité sociale et politique

Les causes de la mobilisation des Gilets jaunes sont doubles et n’ont rien à voir avec une quelconque « irrationalité » de ses acteurs ou une instrumentalisation de la droite ou de l’extrême-droite. D’une part, les partis politiques traditionnels, de gauche et de droite, ayant tous participé au pouvoir ces trente dernières années, avec les résultats que l’on sait, sont disqualifiés. Ils sont responsables de la situation que dénoncent les Gilets jaunes. Il en va de même des syndicats qui sont allés d’échec en échec, on l’a vu récemment avec les mobilisations avortées contre la loi travail et la réforme de la SNCF. D’autre part, la mobilisation a été particulièrement forte dans les territoires périphériques marqués par le chômage, la désindustrialisation, l’abstention, le vote LFI et RN à l’élection présidentielle.

A cet égard, les travaux du géographe Christophe Guilluy, auteur de la fameuse analyse sur la « France périphérique », ne peuvent être méconnus. Dans deux entretiens accordés à Aujourd’hui en France (17 novembre) et au Figaro (19 novembre), il montre les ressorts profonds de la mobilisation des Gilets jaunes. Sa synthèse : « les gilets jaunes attestent la révolte de la France périphérique ».

Pour lui, la colère vient de loin car cela fait des années que ces Français ne sont plus intégrés politiquement et économiquement. Avec la fermeture des usines, la crise du monde rural et celle des banlieues, l’accès à l’emploi est devenu très compliqué. S’ajoutent la désertification médicale, des services publics et des commerces qui quittent les petites villes. Toutes ces souffrances se sont cristallisées autour de la question centrale du pouvoir d’achat. Le mouvement des Gilets jaunes est une conséquence de tous ces éléments mis bout à bout. Face à cette situation « le monde d’en haut ne parle plus au monde d’en bas. Et le monde d’en bas n’écoute plus le monde d’en haut. » La mobilisation des Gilets jaunes a été à la fois massive et répartie sur tout le territoire.

Les mesures d’accompagnement à la conversion d’un véhicule propre mises en œuvre par le gouvernement pour tenter de calmer les Gilets jaunes sont à côté de la plaque

Ce ne sont pas des solutions techniques pour financer un nouveau véhicule qui sont nécessaires, mais des réponses de fond qui redéfinissent la place occupée par ces catégories dans notre pays.

La France périphérique est ignorée, voire méprisée par la France des métropoles, là où les élites sont rassemblées, où il y a du travail et de l’argent. Pour mieux comprendre ce clivage objectif, prenons l’exemple de la fiscalité sur les carburants. Le bilan carbone de l’aéronautique n’est que rarement évoqué, comme celui du transport maritime et routier puisqu’on nous dit qu’on ne pourrait pas taxer le kérosène dans un contexte de mondialisation des transports. Ainsi la pollution des riches, qui sont très mobiles, est donc moins taxée que celle des pauvres qui sont davantage sédentaires. Christophe Guilluy dénonce les métropoles, « nouvelles citadelles médiévales », avec une bourgeoisie qui se claquemure derrière ses remparts, et qui entend même instituer bientôt des péages urbains, c’est-à-dire le retour de l’octroi ! Dans ces espaces clos, les habitants ont simplement besoin de liaisons pour sortir – avions, TGV – et la voiture est, pour eux, devenue obsolète. Inversement, les catégories populaires des villes, qui sont de plus en plus loin de l’emploi, ont un besoin vital de leur voiture. La fatwa lancée contre la voiture, menée par les élites, traduit une inconscience totale des difficultés réelles de « ceux d’en bas », et même un mépris de classe. La réaction du monde politique d’en haut est d’accuser les classes populaires de ne pas avoir conscience de l’enjeu écologique.

Dans les autres pays occidentaux où existent des mouvements qualifiés de « populistes », c’est exactement la même sociologie : ouvriers, employés, chômeurs, paysans, petits indépendants, c’est-à-dire le socle de la petite classe moyenne et des classes populaires. C’est également la même géographie : territoires ruraux, petites villes et villes moyennes, banlieues subissant l’effet d’aspirateur des métropoles qui vident ces territoires de leurs emplois. Les individus qui y habitent se sentent fragilisés socialement et culturellement. Ils demandent une intégration économique et la préservation de leur capital social et culturel.

Personne ne roule au diesel par plaisir

D’autant que pendant des années les Français ont été incités à acheter du diesel pour faire des économies d’énergie. Tous les Français souhaitent pourtant préserver l’environnement affirme Christophe Guilluy. De la même manière, si l’on considère la question du multiculturalisme, tout le monde souhaite une préservation de son capital culturel et un rapport à l’Autre distancié, en tout cas choisi et non imposé. Mais il faut distinguer les objectifs et les moyens. Si j’ai les moyens de mettre à distance l’Autre, en contournant la carte scolaire par exemple, je peux faire l’apologie de la « société ouverte » sans difficulté. Il en va de même en matière d’écologie. On peut facilement tenir un discours sur la nécessité de préserver l’environnement quand on a les moyens de s’offrir une voiture électrique ou de consommer bio. La défense de l’écologie, comme la promotion de la « société ouverte », sont devenues des outils de distinction sociale. C’est pourquoi certains continuent à présenter le mouvement des Gilets jaunes comme le rassemblement des « ploucs ».

Il faut aussi prendre connaissance des travaux de Jérôme Fourquet et Sylvain Manternach (Le Figaro, 19 novembre 2018). Pour eux, la géographie de la mobilisation des Gilets jaunes semble avoir été structurée selon deux paramètres principaux. Il s’agit d’une part, en cohérence avec l’élément déclencheur de cette mobilisation qui a été la hausse du prix des carburants, du rapport qu’entretiennent les territoires avec la voiture.

On constate ainsi une forte densité de points de rassemblement dans la grande périphérie des principales métropoles, là où résident de nombreux migrants de l’intérieur. Autour de Paris, c’est le cas en Seine-et-Marne, un des berceaux du mouvement, et dans la vallée de la Seine. On retrouve le même phénomène dans la grande couronne lyonnaise avec une forte mobilisation dans le Rhône, mais également dans le nord de l’Isère ou dans le sud de l’Ain. Même configuration dans un rayon de 30 à 40 kilomètres de Bordeaux.

Si le prix des carburants, et donc du degré de dépendance à la voiture, a bien constitué l’un des principaux ressorts du mouvement, l’intensité de la mobilisation a également répondu à une logique plus politique. L’analyse des revendications et des mots d’ordre avant la mobilisation avait indiqué que le mouvement des Gilets jaunes prenait au fil du temps une tonalité antimacronienne. L’électorat présidentiel pouvait donc difficilement s’associer à ce mouvement. On observe d’ailleurs une plus faible densité d’action dans les départements ayant fortement voté Macron au premier tour de la présidentielle. Cette analyse est tout à fait pertinente mais persiste à ignorer l’abstention comme choix politique. Les abstentionnistes sont pourtant le premier parti de France et sont maintenus cachés comme s’ils n’existaient pas.

Or le mouvement des Gilets jaunes est aussi un mouvement massif des abstentionnistes.

Cette réalité rend ailleurs difficile toute récupération politique. Une étude publiée par l’Argus le 17 novembre se demande « Qui sont les utilisateurs de diesel en France ? ». Elle a établi une cartographie comparative des départements en fonction de deux critères : la densité de ménages non imposables et le nombre de particuliers propriétaires d’un diesel. Si les auteurs avaient fait cet effort, ils auraient trouvé à coup sûr un lien avec le taux de l’abstention. La superposition de ces cartes montre que le diesel est directement associé à la fragilité d’un territoire. Les zones où le diesel est le plus répandu sont celles où les populations ont les revenus les plus bas. Les territoires les plus excentrés et les plus fragiles sont marqués par un parc automobile comprenant plus de 72 % de modèles diesel : le Massif central, le Limousin, la Bretagne, les Pays de la Loire, le Poitou, la Somme, l’Aisne, le Calvados, la Haute-Saône ou encore la Haute-Marne.

Elisabeth Borne, la ministre des Transports, a confirmé elle-même, en décembre 2017, qu’en France, une personne sur quatre aurait déjà refusé un emploi ou une offre de formation faute de moyens de transport pour s’y rendre. Le site regionsjob.com a mené lui aussi une enquête, début novembre 2018, sur ce sujet. Elle montre que 81 % des Français en recherche d’emploi pourraient être découragés de postuler à une offre loin de chez eux en raison de la hausse du prix des carburants. L’interdiction de circulation des véhicules diesel planifiée pour 2024 à Paris et en 2030 pour toute l’Île-de-France, va encore accentuer un peu plus la fracture territoriale et sociale.

Dans un sondage Odoxa réalisé entre les 15 et 16 novembre, publié dans Le Figaro des 17 et 18 novembre, la question suivante est posée : « Vous personnellement, trouvez-vous ce mouvement, dit des gilets jaunes, justifié ou pas justifié ? » Le total de ceux qui trouvent le mouvement justifié s’élève à 74 %. Parmi les préférences politiques : RN 92 %, LFI 84 %, PS 82 %, LR 76 %, la REM 32 %.

Question posée uniquement à ceux qui jugent le mouvement justifié : « Et vous personnellement, avez-vous prévu de participer au mouvement des gilets jaunes de ce samedi ? » Ils sont 33 % à répondre « oui certain » et 37 % à répondre « possible », soit un score énorme de 70 %.

Une alliance inédite est en train de se nouer entre une partie des classes populaires et des classes moyennes précarisées. La France périphérique relève la tête. C’est la forme que prend actuellement la lutte des classes…

II.- Quatre perspectives se dégagent pour continuer, amplifier et faire gagner le mouvement

La préservation de l’indépendance du mouvement des Gilets jaunes est la première condition pour durer et gagner. Le rassemblement du peuple de France autours de cahiers de doléances, débouchant sur des états généraux, permettrait d’élargir sa force de frappe. De fait, toutes les actions engagées par les Gilets jaunes visent à faire tomber la Bastille de l’Union européenne et de l’euro pour libérer la France et bâtir une Europe des peuples dont une étape sera le boycott citoyens des élections européennes. Comme en 1789, s’engager dans une dynamique populaire constituante afin de reconstruire la France par le rétablissement de la démocratie serait une perspective enthousiasmante. Et efficace !

A.- Préserver l’indépendance du mouvement pour durer et gagner

L’apparition des Gilets jaunes bouleverse les formes de la lutte sociale et le rôle des acteurs sociaux. Une partie très majoritaire de la gauche s’est placée en opposition frontale à ce mouvement populaire auquel elle manifeste un profond mépris et qu’elle veut détruire. Cette gauche moderne, prétendument morale, mondialiste et européiste, confirme qu’elle est devenue le flanc gauche de l’oligarchie. Les syndicats, quant à eux, sont en péril, leur mort ne serait pas une bonne nouvelle. Mais il ne sert à rien de se lamenter, il faut imaginer ce qui, ici et maintenant, peut se développer. De profondes ruptures culturelles doivent être acceptées. La gauche morale urbaine et méprisante a montré qu’elle se solidarisait avec l’oligarchie lorsqu’une mobilisation n’était pas assez « propre » à ses yeux. Que ceux qui croient encore à cette gauche l’oublient et considèrent que le sujet le plus important est celui de l’émancipation des classes dominées, avec, sans, ou même contre cette gauche. Si la gauche est moribonde, le peuple, lui, ne l’est pas, pas plus que la lutte des classes. C’est cela le plus important.

Les Gilets jaunes on compris à juste titre qu’ils ne pouvaient compter que sur eux-mêmes. Ils se sont auto-organisés sur les réseaux sociaux et vont nécessairement bâtir un cadre collectif et opérationnel à l’échelle locale et nationale car c’est la condition de l’efficacité. Il faut conserver cet acquis.

Préserver l’indépendance du mouvement des Gilets jaunes nécessite de se prémunir contre les risques d’une double récupération : une récupération politique ou syndicale et une récupération médiatique

Pour éviter les menaces de récupérations politiques et syndicales, d’où qu’elles viennent, des mesures simples peuvent être prises. Lors des initiatives des Gilets jaunes, aucun signe d’appartenance à un syndicat ou un parti politique ne doit être accepté : badge, autocollant, tee-shirt, tract, banderole, pancarte, prise de parole… Cette protection contre les tentatives de récupération, toutefois, ne doit pas déboucher sur un ostracisme vis-à-vis des adhérents ou sympathisants des syndicats et partis, bien au contraire. Il faut les accueillir à bras ouverts. Ceux-ci sont des citoyens comme les autres, éprouvent les mêmes difficultés que les Gilets jaunes, et peuvent (doivent !) participer à la mobilisation des Gilets jaunes, mais à titre individuel comme tout le monde.

Pour éviter les menaces de récupération médiatique, l’absence de leaders est une force. Attention aux leaders autoproclamés et à ceux qui seront désignés par les médias. Ces derniers, par facilité, recherchent des contacts avec un numéro de téléphone aisément joignables, et c’est ainsi que l’on fabrique des personnages publics… Des porte-parole sont indispensables, mais il faut les faire tourner afin d’éviter la captation de la parole par certains.

En tout état de cause, il faut continuer à s’organiser et à agir sans les organisations politiques et syndicales, parfois contre si nécessaire.

B.- Rassembler le peuple de France autour de cahiers de doléances et convoquer des États-généraux

Le ras-le-bol est général et s’étend. Une étude publiée le 20 novembre 2018 par l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), issue de chiffres de l’INSEE, en donne les explications. Elles sont simples à comprendre, même pour un député LREM. L’études mesure l’impact des « réformes » sociales et fiscales des deux derniers quinquennats. Le résultat est sans appel : le revenu disponible a baissé en moyenne pour chaque foyer de 440 € par an entre 2008 et 2016. Lorsque M. Wauquiez, patron de LR, affirme soutenir les Gilets jaunes, il faudrait lui demander ce qu’il pense de ces mesures prises par le gouvernement de M. Sarkozy, et s’il compte les abroger.

Le début du quinquennat Macron est pire que celui de ses collègues Hollande et Sarkozy : suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune, de la progressivité des impôts sur les gros revenus, doublement de la baisse des cotisations sociales en 2019 avec 40 milliards d’euros sans créer d’emplois, aucune mesure pour empêcher la fraude fiscale massive des grands groupes et grandes fortunes…

La majorité du peuple ne veut plus voir les salaires et allocations bloqués ou même baissés, les impôts et taxes augmenter, les « gens d’en haut » humilier, mépriser, rabaisser systématiquement « les gens d’en bas ».

L’arrogance des puissants, incarnée par M. Macron, est insupportable

Les raisons justifiant le rassemblement du peuple de France sont immenses. Il ne faudrait donc pas que les actions des Gilets jaunes divisent le peuple alors qu’il s’agit de l’unir. Comme le disent les Gilets jaunes de Saint-Nazaire, « les actions ont aussi pour conséquences malheureuses de gêner de simples citoyens dans leurs tâches quotidiennes. Notre objectif n’est pas d’instaurer une gêne durable et prolongée pour les femmes et les hommes qui vivent sur notre territoire. » C’est pourquoi ils veulent privilégier les « relais locaux » du pouvoir exécutif comme les préfectures et sous-préfectures, ainsi que les « actions de blocage économique ».

« Nous sommes tous des gilets jaunes » devrait être le mot d’ordre universel !

Et nous mettrions le gilet jaune pour aller au travail, faire les courses… Les enseignants pourraient faire cours en gilet jaune, et les lycéens et étudiants idem. Les ouvriers mettraient le gilet jaune sur le bleu de travail, comme les médecins et infirmiers-infirmières sur leur blouse… Bien sûr le gilet jaune doit rester sur les pare-brise. Autre façon de faire : porter un ruban jaune – cela commence à apparaître -, accroché à la boutonnière, noué au poignet ou porté façon bandana. Tous ces signes de reconnaissance provoqueront un choc citoyen, un bond de la sociabilité, une invitation permanente au dialogue et aux échanges entre les porteurs de jaune et avec les autres. Le sentiment d’être une force va croître, l’optimisme revenir, les sourires se redéployer…

Il est possible de rassembler le peuple de France. Pour y parvenir il faut des actions, des moyens et une perspective qui nous transcende. Les actions et les moyens pourraient être des cahiers de doléances. La perspective serait la convocation d’États-généraux.

Les cahiers de doléances pourraient être lancés à l’échelle de chaque commune

Il se pourrait d’ailleurs que des élus de petites communes, eux aussi malmenés par le pouvoir, se vivent aussi comme des gilets jaunes. Ils pourraient devenir des « maires gilets jaunes » et participer au mouvement, lui apporter un appui politique et logistique. Ces cahiers de doléances devraient contenir ce que veut la population, de l’échelle communale à l’échelle nationale.

Le sens général des décisions à prendre ne peut pas être l’addition de simples dispositifs techniques « d’accompagnement » de la « transition écologique ». Il faut aller beaucoup plus en profondeur tant le mal est profond. Il s’agit ni plus ni moins de redéfinir la place de la France dans la mondialisation néolibérale, et donc sa place dans l’Union européenne. Ce sont des conditions absolument indispensables si l’on veut redéfinir la place des classes populaires et moyennes dans notre société. Cessons de parler de « transition écologique » et parlons de « transition écologique, sociale et démocratique ».

La France, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, est parvenue à se redresser de manière spectaculaire avec le programme du Conseil national de la Résistance que veulent précisément détruire les élites. Pourtant c’est bien la mise en œuvre de ce programme qui a permis les « trente glorieuse » et la mise en place du plein-emploi. Voilà la perspective qui devrait guider les Gilets jaunes

Rassembler le peuple de France autour d’un nouveau programme de la Résistance

C’est ce nouveau programme de résistance que l’on doit aujourd’hui opposer à la mondialisation néolibérale, par la démondialisation, pour que la France redevienne la France.

Les cahiers de doléances pourraient contenir en premier lieu des mesures immédiates pour résoudre les difficultés de pouvoir d’achat. Voilà quelques idées pour l’échelle nationale :

  • Annulation de la hausse du prix des carburants par la baisse du taux de TVA qui leur est appliquée.
  • Augmentation générale des salaires (dont le SMIC à 1 600 euros nets) et égalité hommes-femmes.
  • Augmentation des retraites, des indemnités de chômage, des minima sociaux, création d’une allocation d’autonomie pour les jeunes sans emploi comme en Italie (780 euros par mois), associée dès que c’est possible à une activité professionnelle à temps partiel ou à des formations. Aucun paysan, aucun commerçant, aucun indépendant, aucun auto-entrepreneur ne doit gagner moins du SMIC. L’argent existe car la répartition de la richesse entre le travail et le capital a fait passer en 30 ans 200 milliards d’euros de la poche des salaires dans celle des actionnaires.
  • Baisser fortement la TVA pour tous les produits de première nécessité.

Ces mesures immédiates, pour être crédibles, doivent pouvoir être financées

Nous y parviendrons par la mise en œuvre de mesures structurelles de démondialisation consistant pour la France à reprendre sa liberté par le remplacement du libre-échange par la libre-coopération entre Etats sur des bases mutuellement avantageuses, le démantèlement des marchés financiers, l’émancipation de la France vis-à-vis de l’Union européenne. Les exemples suivants peuvent être pris :

  • Contraindre les constructeurs nationaux à fabriquer des véhicules propres et sécurisés ; limiter l’importation de véhicules pour favoriser les productions nationales, élaborer une politique de la voiture en articulation avec les transports collectifs dans le cadre d’un nouvel aménagement du territoire. Par exemple, dans de nombreuses zones rurales et en montagne, compte tenu de la destruction des services de l’Etat comme les Directions départementales de l’équipement (DDE), les routes et chemins ne sont plus correctement entretenus, deviennent impraticables l’hiver et lors des épisodes de fortes pluies de plus en plus nombreux liés au réchauffement climatique, nécessitant l’usage de 4×4.
  • Arrêt des délocalisations, relocalisation et réindustrialisation, développement des circuits courts en abandonnant le système des appels d’offres imposé par l’Union européenne, afin de favoriser l’activité des artisans, agriculteurs et petits et moyens employeurs de proximité.
  • Protection des productions nationales agricoles et industrielles : produisons et consommons français.
  • Lutter vraiment et efficacement contre l’évasion et l’optimisation fiscales.
  • Taxer les compagnies pétrolières et les grandes entreprises du transport maritime, routier et aérien, les gestionnaires d’infrastructures (autoroutes).
  • Taxer le kérosène (qui ne l’est pas du tout) pour empêcher que l’avion, très pollueur, ne concurrence le train. Supprimer l’exonération des taxes carburant pour le transport routier afin de développer le fret ferroviaire.
  • Arrêter la fermeture des petites lignes de chemins de fer (9 000 kilomètres sont menacés). Investir massivement dans les transports en commun de qualité accessibles à tous.
  • Relancer la construction de logements, rénover en profondeur le parc HLM et les copropriétés en mauvais état (drame de Marseille).
  • Arrêt de la fermeture des services publics, les redévelopper, embaucher des fonctionnaires de l’Etat, des collectivités territoriales et hospitaliers.
  • Arrêt de la casse des départements et communes.
  • Libérer des médias de leur domestication par des groupes financiers ou industriels.
  • Se libérer des contraintes budgétaires et monétaires imposées par l’Union européenne.
  • Organiser un référendum sur le maintien ou non de la France dans l’Union européenne.

Les États-généraux se tiendraient dans chaque commune et département et ensuite au niveau national

A l’échelle communale et départementale, ces États-généraux devraient être organisés par les Gilets jaunes eux-mêmes. Ils pourraient inviter des élus, le préfet et les représentants des administrations, ceux du patronat, des partis et syndicats, la presse. Ils seraient ouverts au public et devraient durer le temps qu’il faut, à raison par exemple d’un samedi entier par semaine pendant plusieurs mois…

A l’échelle nationale il y a deux solutions : soit le pouvoir accepte d’organiser ces États-généraux, soit il refuse. Si le pouvoir accepte, ces États-généraux deviennent une négociation sur la reconstruction de la France. Les cahiers de doléances en formeront l’ordre du jour. Les Gilets jaunes y seront représentés en tant que tels, même si les syndicats et organisations patronales devront être présents dès lors qu’ils auront retiré leurs insultes. Si le pouvoir refuse, les Gilets jaunes devront trouver la force de les organiser eux-mêmes. Selon les circonstances, une campagne pour la tenue d’un référendum d’initiative populaire pourrait être organisée sur le contenu des cahiers de doléances.

C.- Faire tomber la Bastille de l’Union européenne et de l’euro pour libérer la France et bâtir une Europe des peuples, boycotter les élections européennes

Nous sommes tous en faveur de la paix avec nos voisins européens et tous les autres pays, en faveur d’échanges commerciaux, culturels, touristiques mutuellement profitables. Mais cette Europe est interdite par le système politique de l’Union européenne et de l’euro qui entrave notre liberté et celle de nos voisins. Il faut savoir, pour ne prendre que cet exemple, que la hausse du prix des carburants, via la hausse de la fiscalité qui les concerne, provient directement des « recommandations » de l’Union européenne à la France. Le seul fait de réclamer la baisse de la fiscalité s’appliquant aux carburants est déjà un acte condamné par Bruxelles. Il en va de même dans la plupart des domaines : nous ne sommes plus maîtres chez nous.

1.- L’euro est le cas le plus grave car il fonctionne en réalité – et volontairement – comme une arme de destruction massive de l’emploi et des salaires

L’euro, monnaie unique, ne peut s’adapter aux situations variées des différents Etats de l’Union européenne. L’interdiction de toute politique monétaire propre dans quelque pays de l’UE ne permet pas de lutter contre le chômage, d’agir pour le développement, et oblige de fait tous les pays à soutenir l’euro au bénéfice exclusif de l’Allemagne et à leur propre détriment.

Habituellement, les pays connaissant un déficit de leur balance des paiements (différence entre la valeur des marchandises, services et capitaux qui entrent et qui sortent du pays) utilisent l’outil classique de la dévaluation. Cela permet de baisser les prix à l’exportation et de les augmenter à l’importation. On revient alors à l’équilibre entre importations et exportations. Comme la monnaie unique interdit ce mécanisme, les pays ayant un définit de leur balance des paiements (comme la France et tous les autres membres de l’Union européenne, sauf l’Allemagne) organisent la déflation salariale. Autrement dit, ils organisent une énorme pression sur les salaires et la protection sociale pour obtenir un résultat similaire à celui d’une dévaluation : des prix « compétitifs », donc les plus bas possible. C’est pourquoi, structurellement, par nature, l’euro est l’ennemi de l’emploi et des salaires pour les salariés évidemment, mais aussi pour les agriculteurs, artisans et PME.

L’euro « fort » divise l’Allemagne (qui y a intérêt), et les autres pays (qui cherchent à le faire baisser). N’y parvenant pas, ils écrasent les salaires et l’emploi, délocalisent, transforment l’euro en rouleau compresseur de la protection sociale pour être « compétitifs ». Une politique monétaire unique s’est appliquée à des situations nationales différentes. L’euro confirme toutes les tares qui avaient été dénoncées par ceux qui avaient défendu avec justesse le NON à la monnaie unique lors des référendums sur le traité de Maastricht en 1992 et sur la constitution européenne en 2005.

L’euro n’avait pas qu’une vocation monétaire, il était un prétexte pour forcer la main aux États et les contraindre à s’engager dans une voie fédéraliste. Il devait être la pièce centrale de la « dictature » des marchés financiers et de l’instauration d’un ordre monétaire néolibéral. La Banque centrale européenne (BCE) échappant à tout contrôle démocratique, l’euro était conçu comme vecteur de l’accélération de la circulation du capital au service exclusif des intérêts des classes dominantes.

La sortie de l’euro est la condition nécessaire à des politiques favorables au peuple, même si elle n’est pas suffisante

Il ne peut donc y avoir de politique favorable à la population avec l’euro. Avec la monnaie unique, une politique économique répondant aux besoins du peuple n’est pas possible puisque la politique monétaire, via la BCE, est statutairement indépendante de tout pouvoir politique et donc de toute pression démocratique. Si la BCE est hors de tout processus démocratique, elle est en revanche dépendante des puissances financières. Elle est, dirigée uniquement par des agents directs des marchés financiers, tous imbibés de néolibéralisme.

Comment parvenir à mener une politique favorable au peuple, alors que l’élément le plus important de la politique économique – la politique monétaire – resterait aux mains des néolibéraux ? Comment briser ce que certains appellent la dictature des marchés financiers alors qu’ils resteraient maîtres de la Banque centrale ? Sortir de l’euro, c’est sortir de l’ordre monétaire néolibéral. C’est redonner au peuple, dans la nation, le contrôle de la politique monétaire. C’est rendre de nouveau possible une politique économique digne de ce nom. Un gouvernement voulant défendre les intérêts de la population ne pourra pas y parvenir si la politique monétaire reste aux mains de la BCE. Sortir de l’euro de manière unilatérale et immédiate est la condition absolument nécessaire, indispensable, urgente pour pouvoir mener une politique favorable aux classes populaires et moyennes.

La sortie de l’euro permettra d’éviter que les économies européennes continuent à se mener une concurrence destructrice par la baisse des salaires

Dès lors les gains de productivité, particulièrement en France où elle est très forte, pourront être répartis pour toute la société. Cette possibilité retrouvée des dévaluations et du protectionnisme national est systématiquement caricaturée comme un instrument de concurrence, d’autarcie, voire de guerre européenne. C’est pourtant la seule possibilité pour permettre une coopération économique et commerciale internationale, hors de la concurrence obligatoire des traités de « libre-échange ».

Le protectionnisme, diabolisé à droite comme à gauche, est simplement la seule possibilité de maintenir l’autonomie des règles sociales, salariales, sécuritaires, fiscales, environnementales de chaque pays, en dehors de la seule concurrence basée sur les prix les plus bas imposée par le « libre-échange ». C’était la règle avant les traités internationaux et les institutions néolibérales supranationales (surtout européens) qui ont supprimé l’autonomie politique des peuples souverains. La concurrence par le bas est la seule possibilité en régime de « libre-échange » imposé par les institutions supranationales néolibérales. Le libre-échange garantit comme seule liberté celle des actionnaires et des multinationales, et supprime celle des peuples.

Le protectionnisme est en fait le synonyme de retour du politique et des processus démocratiques

Les normes contraignantes, les lois, peuvent ainsi de nouveau aller dans le sens que donne le résultat des débats démocratiques internes aux nations et à leurs élections. Les frontières économiques garantissent alors le résultat de ces débats en rétablissant l’équilibre par rapport aux différentiels de prix provoqués par les différences de situation de chaque pays. Tout ceci sans pour autant supprimer les échanges commerciaux, bien entendu.

Car battre monnaie signifie la possibilité de définir une politique monétaire qui servira à financer la politique économique. Comment un gouvernement favorable au peuple pourrait-il accepter la dictature monétaire exercée actuellement par les marchés financiers qui, en rendant indépendantes les banques centrales des pouvoirs publics, les ont en réalité retirées des mains du peuple ? Refuser de sortir de l’euro, c’est refuser de redonner le pouvoir monétaire au peuple. La monnaie et la politique monétaire font partie d’un ensemble plus vaste qui est celui de la politique économique.

On trouve ainsi, dans la politique économique générale (la macroéconomie), la politique fiscale, celle du commerce international et intérieur, la politique industrielle, la politique budgétaire, l’aménagement du territoire, etc. C’est pourquoi nous devons prendre la Bastille que représente aujourd’hui le système de l’Union européenne. C’est la condition pour redevenir libres et bâtir l’Europe des nations, c’est-à-dire l’Europe des peuples.

Selon Monsieur Macron, les citoyens rejetant son idée de « souveraineté européenne », qui efface les nations, seraient des xénophobes et des fascistes en puissance

Il est soutenu hypocritement par une grande partie de la gauche associative, syndicale et politique. Pour le président de la République, la nation reste en effet l’obstacle à son utopie d’une souveraineté et d’une armée européennes, idée à laquelle Angela Merkel vient de se rallier. Il a pris pour cible la nation en elle-même. Ainsi, pour lui, la culture française n’existerait pas, tandis que la psychologie française serait celle de « gaulois réfractaires ».

L’Europe de M. Macron est celle où le terrain est en train d’être dégagé pour que l’ « overclass » (les 1 %), celle qui est juste en-dessous de l’oligarchie (les 0,1 %), puisse s’épanouir sans entrave. Ce sont les « premiers de cordée », qui seraient les « progressistes » dans la logorrhée macronienne. Ils veulent être délivrés de leurs obligations (notamment fiscales) envers toute communauté politique particulière car ils se considèrent comme une aristocratie planétaire. Ils sont mondialistes et européistes. Ce sont les nouveaux seigneurs féodaux qui rétablissent « l’ancien régime », les Gilets jaunes sont les nouveaux sans-culottes !

Telle est la définition du « progressisme » macronien. C’est une vision de la modernité qui considère la diversité humaine, celle des peuples, des nations, des langues, des religions, des civilisations, comme autant de manifestations archaïques. Le sens de l’histoire, pour ces « progressistes », va vers l’effacement de toutes ces différences. Il est conçu comme un nouvel universalisme, en opposition à celui des Lumières. Toutes les frontières vont et doivent se dissoudre, seul compte pour eux le mouvement.

Ajoutons, avec Mathieu Bock-Côté (Le Figaro, 17-18 novembre 2018), que les nations ne sont pas des constructions artificielles, « bêtement transitoires, toujours déjà périmées, qu’on pourrait démonter à loisir. L’homme a besoin de croire au monde qu’il habite. L’histoire n’accouchera ni demain ni après-demain d’un monde homogène. Les peuples sont en droit de demander à leurs dirigeants de défendre leurs intérêts. »

Il faut une France indépendante, reliée à toutes les nations européennes et les autres, qui souhaitent coopérer sur une base de réciprocité.

2.- Organiser le boycott citoyen des élections européennes

L’Union européenne (U.E.) et sa monnaie unique – un véritable sado-monétarisme – martyrisent les peuples sous le talon de fer de l’austérité à perpétuité. En 2019, cette politique et ce système devront être sanctionnés. Le meilleur moyen sera de délégitimer l’U.E., l’euro, les traités, la Commission, la Banque centrale européenne, la Cour de justice et le « Parlement » européen – tout le système – par une abstention massive, une véritable grève du vote. En 2009, l’abstention avait battu en France un record avec 59,4 %, pour retomber à 57,6 % en 2014. En 2019, il faut dépasser les 60 % et même les 70 % !

Le devoir de tout citoyen, lorsqu’une élection est organisée démocratiquement, et que son résultat peut avoir un effet politique réel sur les institutions, est d’utiliser son droit de vote conquis de haute lutte. Ce n’est pas le cas de l’élection au « Parlement » européen.

C’est le principe même de l’élection à un parlement européen qui doit être récusé

Un parlement, à l’échelle européenne, n’a pas lieu d’être car il n’existe aucun peuple européen susceptible, au moyen d’un État européen, de se former en communauté politique à l’échelle du continent et d’y exercer sa souveraineté. Si tel était le cas, les pouvoirs de ce parlement européen s’exerceraient nécessairement au détriment des pouvoirs des parlements nationaux.

Le vote de 2019 sera totalement stérile puisque le « Parlement » européen n’a pas les pouvoirs de faire évoluer l’Union européenne. Il ne possède aucune des prérogatives d’un vrai parlement : il ne peut pas changer les traités qui fondent l’U.E., ne peut pas voter l’impôt, n’a pas l’initiative des lois… En outre, que les libéraux, les socialistes, les Verts, le Parti de la gauche européenne, les « populistes » ou « souverainistes » gagnent des sièges, ne changera rien aux orientations politiques puisque l’eurodroite et la social-démocratie pilotent ensemble les travaux parlementaires comme larrons en foire.

Le boycott des élections européennes servira aussi à dénoncer le double jeu politicien des partis qui adoptent un ton critique vis-à-vis de l’Europe et qui, pourtant, en acceptent le principe en présentant des listes aux élections. On ne peut en effet, d’un côté, prétendre vouloir sortir de l’euro et de l’Union européenne, et d’un autre côté vouloir entrer dans le système – dans lequel certains sont déjà entrés par la présence de députés européens – pour se goberger comme les autres. Ces partis cautionnent ainsi et profitent eux-mêmes de ces institutions qui leur garantissent des revenus substantiels.

L’élection au « Parlement » européen n’est qu’une farce électorale

Elle n’a d’autre but que de simuler un acte démocratique et légitimer ainsi tout le système de l’U.E. C’est un devoir citoyen de voter quand le suffrage sert à la souveraineté du peuple, c’est aussi un devoir civique de refuser de voter quand le suffrage vise à détruire la souveraineté nationale et populaire. D’ailleurs, comment se faire prendre deux fois au même piège ? En refusant de tenir compte du NON français du 29 mai 2005 au référendum sur le traité constitutionnel européen, le système a démontré son caractère tyrannique et dictatorial. Aucune élection juste n’y est possible.

Face à cette entreprise d’effacement national et de régression sociale et démocratique, aucune des forces politiques françaises en lice lors des prochaines élections européennes ne porte de projet alternatif et progressiste. Certaines de ces forces annoncent leur participation à ces élections pour faire parler d’elles. D’autres, espérant obtenir quelques élus, veulent faire du « Parlement » européen une caisse de résonnance à leurs revendications. Ce ne sont qu’illusions et diversions. Illusions, car les grands médias ignorent les petites listes, tandis que l’absence de couverture médiatique des débats de ce « parlement » d’opérette interdit de donner le moindre écho aux mouvements euro-critiques. Diversions, car en participant à ce simulacre électoral, ces forces politiques cautionnent le système européen qu’elles prétendent dénoncer par ailleurs.

Seuls les citoyens qui se seront abstenus auront clairement délégitimé l’U.E.

Leur acte sera un coup de tonnerre politique confirmant l’absence de toute crédibilité à l’Union européenne, la ridiculisant et ouvrant un espace sans précédent aux luttes populaires. Le véritable enjeu de cette mascarade électorale sera donc l’abstention citoyenne. À ce propos, la différence doit être clairement faite avec le vote blanc. Ce dernier est l’acte politique le plus efficace, lors des élections nationales, pour exprimer son rejet des forces politiques en présence lorsque l’on estime qu’il n’existe pas d’offre politique satisfaisante.

L’enjeu des élections européennes n’est pas celui d’un manque d’offre politique, c’est celui du principe même de cette élection à laquelle il ne saurait être question de participer. En 2019, le meilleur choix pour manifester son mécontentement à l’égard de l’U.E. sera de boycotter activement l’élection européenne, c’est-à-dire de faire campagne pour le boycott ! C’est le prolongement naturel de la mobilisation des Gilets jaunes.

D.- S’engager dans une dynamique populaire constituante afin de reconstruire la France par le rétablissement de la démocratie

La situation politique contemporaine accumule les aberrations institutionnelles et démocratiques. Elles génèrent une profonde, croissante et permanente crise de légitimité de toutes les instances représentatives, que l’on peut désormais sans conteste qualifier d’historique. La mobilisation des Gilets jaunes en est actuellement une manifestation emblématique. La cause de ces aberrations et de cette crise de légitimité, quoique complexe, s’explique cependant par deux facteurs essentiels évidents et connus de tous.

Il s’agit avant tout de la dissolution, par l’Union européenne, des souverainetés nationales, principe de légitimité non remplaçable supportant toute notre architecture institutionnelle et support pratique des processus démocratiques. La communauté des citoyens d’un État doit pourtant avoir le monopole de la définition de ses choix publics. Sur tous les sujets. C’est seulement ainsi que cette communauté des citoyens pourra peser, sous une forme directe ou indirecte, de manière décisive, sur le contenu de ses institutions. Telle est « la base de la base » pour définir une démocratie moderne. Sortir de cette logique, avec les meilleurs arguments du monde, nous fait forcément sortir de la logique de la démocratie.

Le deuxième facteur est tout aussi rebattu. Il s’agit de la mondialisation néolibérale. Elle a progressivement étouffé toute possibilité de politique économique nationale un tant soit peu autonome. C’est-à-dire une politique issue d’un processus électoral venant sanctionner un débat public, et exprimant la spécificité de chaque société.

Ces deux causes sont étroitement corrélées, puisque l’intégration européenne constitue la figure de proue de la mondialisation néolibérale, en quelque sorte son chef-d’œuvre institutionnel le plus abouti, le plus radical.

Tout le monde conviendra que nous sommes confrontés à une profonde impasse politique et démocratique, qui ne cesse de s’aggraver et de devenir manifeste pour tout le monde, et pour commencer pour les « citoyens » eux-mêmes. L’abstention électorale massive en est un signe évident.

La communauté des citoyens n’a plus les moyens matériels et institutionnels de sa souveraineté

Les conditions essentielles d’exercice de la souveraineté de la nation ont été dissoutes au profit des institutions européennes sur lesquelles les citoyens n’ont aucune prise politique, et certainement pas via le « Parlement » européen.

La communauté des citoyens reste cependant constitutionnellement souveraine, et aucun principe de légitimité n’est venu remplacer la souveraineté de la nation. Cette contradiction devra être levée, et ne peut trouver d’autre solution légitime que par la restauration pleine et entière de la souveraineté nationale, sous peine de renoncer pour toujours à la démocratie. Il est encore tout à fait possible de construire une dynamique politique majoritaire se fixant cet objectif indispensable. Le seul problème est la construction d’une offre politique à la hauteur de cet enjeu, qui manque encore et qui est donc la priorité absolue du moment que nous vivons.

Il faut reconnaitre d’abord que dans le cadre actuel, il n’y a réellement rien à faire d’autre qu’appliquer une politique non réformable. Macron par exemple n’a strictement aucun pouvoir politique. Il ne peut qu’appliquer avec plus ou moins de zèle et de célérité (il fait preuve des deux) une politique qui ne lui appartient en rien. Un Tsipras fait la même chose en Grèce, avec un autre style et un autre logiciel politique. Ces gens-là ont renoncé à exercer tout pouvoir réellement politique, et ne pourraient en avoir que s’ils brisaient le cadre institutionnel et juridique qui les encadre. Les seuls qui semblent vouloir sortir du cadre, avec d’immenses contradictions, sont les Italiens.

Ce cadre institutionnel peut-il être démonté, la souveraineté et la démocratie peuvent-elles être restaurées ? La réponse est oui. Pourquoi ? Parce qu’un énorme déficit de légitimité frappe l’ordre institutionnel actuel, qui est rejeté par la majorité de la population. La Constitution est toujours là, le principe de la souveraineté nationale y est toujours proclamé quoiqu’entièrement bafoué, les élections sont toujours organisées nationalement, etc. Cette contradiction, sur laquelle nous ne pourrons néanmoins miser éternellement (on ne reste libre que lorsqu’on use de cette liberté et que l’on se souvient collectivement que l’on est libre), recèle encore un gigantesque potentiel de redressement démocratique.

Notre société n’est plus politique, elle ne s’auto-institue plus de manière autonome

Nos élites, en effet, ont abandonné la démocratie, elles assument publiquement ce processus antidémocratique et se déclarent ouvertement déliées du principe de souveraineté de la nation qui fondait pourtant la légitimité de tout notre assemblage institutionnel et représentatif. Pour elles le peuple manque de formation, il est inculte et ne comprend pas les enjeux de l’économie et du réchauffement climatique, il vote n’importe comment, la démocratie ne peut plus reposer sur la souveraineté populaire et encore moins nationale.

Cette dérive anti-démocratique radicale des élites remonte à loin, mais s’est accélérée à partir de la séquence 2005-2008. Celle-ci voit ainsi se succéder deux évènements. Le premier est le rejet, par le corps électoral, lors d’un référendum, du Traité constitutionnel européen. Le second est l’adoption, par le Congrès (réunion de l’Assemblée nationale et du Sénat), d’un autre traité qui en reprend l’essentiel. Normalement le premier de ces évènements excluait la possibilité même du second, surtout sous cette forme (les parlementaires contredisant la sanction du peuple souverain).

En 2005, il fut demandé au peuple français de trancher démocratiquement la question de savoir s’il voulait constitutionnaliser l’intégration européenne avec tous ses traités néolibéraux. Le débat fut d’une richesse et d’une intensité démocratique sans doute inédite.

On le doit pour l’essentiel à l’association Attac, que tous les acteurs, favorables ou non au traité, reconnurent comme ayant contribué de manière décisive à la victoire du NON

La réponse, en effet, fut nette, claire et largement majoritaire, le NON obtenait près de 55% avec 69% de participation. Que firent alors les pouvoirs publics et notamment les parlementaires ? Exécutèrent-ils la décision démocratique solennellement émise par la voie du référendum, comme la logique, le droit, et surtout le principe de légitimité qui fonde leur autorité et leur pouvoir, délégué, constitué, l’exigeaient évidemment ? Non. Le Parlement devint ainsi le lieu de l’invalidation de la volonté populaire exprimée par voie de référendum décisionnaire.

C’est la première fois en France que l’on contournait une décision référendaire, qui de plus est par voie parlementaire. Les parlementaires, dont le pouvoir délégué n’est valide que parce qu’il a été constitué par la nation souveraine, réunis en Congrès, constitutionnalisèrent très officiellement les fameux traités néolibéraux européens le 4 février 2008. Soit moins de trois ans après que la question ait été tranchée directement par la nation dans le sens contraire. Ce faisant, les députés renversèrent en douceur le régime et ses fondements, finirent de dissoudre la souveraineté de la nation qui seule fondait pourtant la légitimité de leur pouvoir. Ils s’établirent ainsi, indûment, illégalement et illégitimement en pouvoir constituant plein et entier, comme s’ils détenaient la souveraineté et non plus la représentaient. Et qui plus est pour la dissoudre, supprimant ainsi, anticonstitutionnellement, le caractère républicain du régime. Ce fut, sans violence et sans proclamation officielle d’aucune sorte, pour ainsi dire en contrebande, un coup d’État parlementaire caractérisé et manifeste. En France, de toutes les aberrations politiques et démocratiques des trois dernières décennies, pourtant riches en la matière, ce fut la plus spectaculaire.

La suite confirma que le processus européen ne souffrait d’aucun « déficit démocratique », mais constituait une entreprise radicalement incompatible avec la démocratie

On assista par exemple au remplacement en 2011 de chefs de gouvernement élus par des technocrates européistes, non élus en Grèce et en Italie, puis les mémorandums européens et la Troïka – Commission, Banque centrale européenne et FMI – envoyés en Grèce pour contredire sur place la volonté populaire sortie des urnes en 2015, etc. Le président luxembourgeois de la Commission, Jean-Claude Juncker, connu pour son manque de diplomatie, l’avoua sans détour lors d’un entretien au Figaro du 28 janvier 2015 faisant suite aux élections grecques : « Il ne peut pas y avoir de choix démocratiques contre les traités européens ». Voilà qui nous change de la langue de bois. Mais là non plus, devant l’évidence de l’incompatibilité du processus d’intégration européenne avec la démocratie, aucun parti politique possédant un vaste accès aux médias ne défendit face aux Français la nécessité de la sortie de cet ordre institutionnel qui déconstruit les bases de notre citoyenneté, le progrès social et la possibilité même de la politique.

Quelles traductions concrètes tirer de cette analyse ? C’est comprendre que ce qui fondait la légitimité de nos institutions, c’est-à-dire la souveraineté de la nation, a été illégitimement renversé par des parlementaires qui ont bafoué la logique de notre Constitution. Ceci ne peut pas nous laisser passifs et indifférents. Le président de la République lui-même, alors Nicolas Sarkozy, dont les fonctions officielles comprennent pourtant la mission de protéger la Constitution et de garantir l’indépendance nationale, a été à l’initiative de ce coup d’État. Des parlementaires, très majoritairement, sont rentrés dans cette logique illégitime. Le Conseil constitutionnel n’a pas fait son devoir. Les juristes, les philosophes politiques, les intellectuels et les médias n’ont pas dénoncé cette forfaiture.

Cette somme de lâchetés explique évidemment ce Munich juridique et politique, l’absence d’un débat public sur la question et d’une réaction collective à la hauteur. Ce sont aussi des facteurs aggravants, et des leçons à tirer pour la suite. Les convictions européistes qui règnent au sein de nos élites les disqualifient pour en faire les acteurs de la réaction démocratique qu’il s’agit de construire.

La question qui surgit immédiatement est donc : construire quoi, comment et avec qui ?

Puisque le régime actuel est illégitime, il faut en reconstruire un autre qui soit légitime, qui remette la souveraineté de la nation au centre de nos institutions. Il ne s’agit pas d’attendre passivement, mais au contraire de s’organiser immédiatement pour démarrer cette dynamique de reconstruction démocratique. Il faudra le faire de manière indépendante des pouvoirs actuels puisque ces derniers ont failli et qu’ils rejettent dans les faits le seul principe démocratique qui fonde leur légitimité : la souveraineté de la nation.

On ne voit pas comment nous pourrons éviter d’établir une assemblée constituante pour remplacer la Constitution actuelle, complètement vidée du principe qui la fondait, et surplombée par des traités néolibéraux officiellement refusés par la nation. Mais il ne s’agit pas de rajouter un énième projet de constituante, placé vaguement dans le futur, et vide des enjeux essentiels et immédiats, à savoir le rétablissement de la souveraineté de la nation et le démantèlement des contraintes néolibérales. Cette constituante doit donc être organisée par les citoyens eux-mêmes.

Il ne s’agit pas non plus d’un simple retour en arrière, au contraire. Restaurer la souveraineté, nationale, certes, mais en tirant les leçons des décennies passées et des innombrables contournements des conséquences démocratiques de ce principe qui constituent une bonne partie de notre histoire politique. Il s’agit donc de démocratiser l’État de manière plus systématique qu’auparavant, et surtout plus efficace. Les partis actuels sont désormais quasi intégralement captés par des notables en réalité apolitiques, des professionnels de la politique politicienne. Ce qu’il est possible de faire pour changer la situation appartient à tous les citoyens, ou plus précisément à tous ceux qui veulent retrouver leur statut de citoyen.

C’est pourquoi il revient aux citoyens de s’organiser immédiatement pour susciter une dynamique populaire constituante et l’imposer aux autorités désormais illégitimes

Il s’agit d’établir un rapport de force politique favorable à cette option. Pour l’ensemble des volontaires, cela passera par la mise en place de manière coordonnée, à l’échelon local puis national, directement avec la population, du débat sur la démocratie dans nos institutions, jusqu’ici systématiquement contourné et même interdit. L’enjeu de la constituante sera d’établir la Constitution dont la France a besoin afin d’assurer sa cohésion nationale, notamment en instituant les processus démocratiques nécessaires au redémarrage du progrès social. Le changement de régime auquel elle doit conduire vise précisément à démocratiser l’État.

Par « dynamique », nous entendons le développement d’un foisonnement d’initiatives de toutes sortes, issues de groupes ou d’individus variés, s’étendant progressivement à l’échelle de tout le territoire métropolitain et aux départements ou régions français d’outre-mer (DROM). Par « populaire », nous entendons la participation croissante des citoyens à ces initiatives leur donnant un caractère de masse. Par « constituante », nous entendons le processus de convergence qui va s’opérer en fusionnant les différentes préoccupations, exigences, revendications en une seule : la nécessité d’établir une assemblée constituante qui permettra de changer de régime politique dans un premier temps, afin d’ouvrir la voie au changement plus global du système politique national en son entier.

Cette « dynamique populaire constituante » doit submerger les partis politiques pour changer de système politique national. Nous reconnaissons le rôle et la nécessité des partis politiques et récusons les thèses sur le caractère prétendument obsolète de la « forme-parti ». Cependant, force est de constater que tous sont englués, d’une manière ou d’une autre, dans un système qui détruit avec cynisme et persévérance le caractère démocratique et politique de notre société.

Toutes les crises partielles dénoncées depuis des années (crise sociale, crise politique, crise de la démocratie, crise de l’euro, crise financière, crise de l’État-providence, crise de la représentation politique, crise de la citoyenneté…) ont une cause commune qui les surplombe toutes : l’élimination du caractère politique et démocratique de nos sociétés. Il est donc nécessaire non seulement de rétablir la démocratie et de redonner à notre société son caractère politique, mais d’aller beaucoup plus loin que là où nous en étions avant d’entamer le cycle de déconstruction démocratique actuel.

Telle est la tâche que pourraient se donner les Gilets jaunes.

Conclusion

Nous ne sommes plus en démocratie : la grande propriété industrielle et la finance sont au pouvoir, PAS LE PEUPLE. Les « nouveaux féodaux » sont au pouvoir et il faudra une nouvelle révolution populaire, un nouveau « serment du jeu de paume » pour définir de nouvelles institutions et instituer une vraie démocratie, un vrai pouvoir du peuple. C’est l’objet de la dynamique populaire constituante.

►Signez l’appel au boycott citoyen des élections européennes

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Jacques Nikonoff

Source: Tlaxcala, le 25 novembre 2018

Publé par Pardem