Bons baisers à la Russie

Chaque État, y compris la Syrie, a le droit de disposer d’armes pour se défendre contre les bombardiers supersoniques, et aucun État n’est autorisé à y faire obstacle par la force.

Pour la première fois depuis des années, un autre État a dit à Israël : Stop ! En Syrie au moins, c’est chose faite. Merci, Mère Russie.

Une lueur d’espoir se fait jour : Quelqu’un impose enfin des limites à Israël. Pour la première fois depuis des années, un autre État indique clairement à Israël que sa puissance a des limites, qu’il ne peut pas faire ce qu’il veut, qu’il n’est pas seul dans le bac à sable, que les USA ne peuvent pas toujours couvrir ses frasques et qu’il ne peut plus persécuter et démolir ses petits camarades indéfiniment.

Ce besoin de se voir imposer ces limites était aussi urgent pour Israël que l’oxygène qu’il respire. Sa morgue et la réalité géopolitique de ces dernières années lui ont permis d’être omniprésent. Il pouvait patrouiller le ciel du Liban comme si c’était le sien ; bombarder l’espace aérien syrien comme s’il survolait le ciel de Gaza ; détruire périodiquement la bande de Gaza, la soumettre à un siège sans fin et continuer, bien sûr, à occuper la Cisjordanie. Soudain, quelqu’un s’est mis en travers et a dit : Stop ! En Syrie au moins, c’est chose faite. Merci, Mère Russie, d’avoir imposé des limites à un enfant que personne n’a discipliné depuis longtemps.

La stupeur israélienne face à la réponse russe et la paralysie qui l’a saisi attestent à quel point Israël avait besoin d’un adulte responsable pour le mater. Comment donc, quelqu’un oserait empêcher Israël de circuler librement dans un autre pays ? Lui interdirait de violer les espaces aériens qui ne sont pas les siens ? Lui défendrait de bombarder tant qu’il veut ? Depuis des décennies, Israël ne connaissait pas si étrange phénomène. Israel Hayom [quotidien israélien de droite, NdT] a signalé, bien sûr, que l’antisémitisme se développe en Russie. Israël s’apprête à abattre une fois encore son atout de victime, mais il vient soudain de perdre sa superbe.

En avril, l’agence Bloomberg News a cité ces menaces du chef du renseignement militaire à la retraite Amos Yadlin, entre autres : si la Russie fournissait des missiles antiaériens S-300 à la Syrie, les forces aériennes israéliennes les bombarderaient. Désormais, les fanfaronnades de Sion ne sont plus d’actualité, du moins pour le moment.

Chaque État, y compris la Syrie, a le droit de disposer d’armes pour se défendre contre les bombardiers supersoniques, et aucun État n’est autorisé à y faire obstacle par la force. Cette vérité de base sonne déjà bizarrement aux oreilles des Israéliens. L’idée que la souveraineté des autres pays compte pour du beurre, qu’elle peut toujours être compromise par la violence et que seule est aussi sacrée que suprême la souveraineté israélienne ; qu’Israël peut s’ingérer à son gré dans les affaires de la région – notamment par une intervention militaire, dont la portée réelle reste à clarifier dans la guerre en Syrie – en toute impunité, au nom de sa sécurité réelle ou imaginée, priorité censée sanctifier tout et n’importe quoi, tout cela s’est heurté au niet russe. Et nous avions sacrément besoin de ce niet, pour remettre Israël à sa juste place.

Gideon Levy

Original: To Russia with love

Traduit par Dominique Macabies

Edité par Fausto Giudice Фаусто Джудиче فاوستو جيوديشي

Source: Tlaxcala, le 12 octobre 2018

Traductions disponibles : Italiano